La révolution de palais en Arabie saoudite interpelle à plus d’un titre et suscite ses interrogations sur ses véritables motivations.
Par Slaheddine Dchicha *
Malgré sa modestie géographique, démographique et économique, la petite Tunisie ne cesse d’être imitée. Comme si les pays voisins et/ou «frères» en s’appropriant certains aspects de son modèle, voulaient le banaliser et mettre ainsi fin à la rebattue «exception tunisienne».
Après le statut de la femme, après le «printemps de Tunis», voici que la lutte anti-corruption s’exporte à son tour et fait un émule de poids en la personne du prince héritier de l’Arabie Saoudite, le très jeune et très puissant Mohammed Ben Salman, dit MBS.
En effet, depuis six mois, les Tunisiens vivent au rythme de la lutte – «guerre» selon M. Chahed – contre la corruption de telle sorte que les deux autres guerres promises au programme du Premier ministre, contre le terrorisme et surtout contre le chômage, semblent avoir été perdues en route ou tout du moins mises au second plan, à moins que toute cette agitation ne soit un rideau de fumée pour justement faire oublier les échecs économiques et détourner l’attention des luttes sociales de plus en plus nombreuses et exacerbées et dont la répression a fait, en mai dernier, un mort à Tataouine.
Par ailleurs, cette «guerre» pourrait n’être qu’une diversion pour cacher une autre guerre plus souterraine… que se livrent les forces politiques pour le pouvoir. Qu’en est-il de ce qui se passe en Arabie ?
Les faits du Prince
N’en déplaise aux sceptiques qui saisissent chaque occasion pour remettre en cause l’existence de «l’arabité», il ne fait pas de doute que les pays arabes partagent certaines caractéristiques, aussi négatives soient-elles, dont la plus saillantes est la corruption.
Afin de combattre ce mal, samedi 4 et dimanche 5 novembre 2017, sur ordre d’une commission anti-corruption dirigée par le prince héritier MBS, onze princes, quatre ministres et des dizaines d’anciens ministres et d’hommes d’affaires ont été arrêtés en Arabie saoudite. Parmi lesquels, le prince et milliardaire Al-Walid Ben Talal, cinquième fortune mondiale et cousin de Hicham Alaoui, expulsé sans raison de Tunisie en septembre dernier; le ministre de l’économie Adel Fakih, ainsi que le chef de la garde nationale saoudienne Miteb Ben Abdullah et celui de la Marine Abdallah Al-Sultan…
Qui n’approuverait une telle lutte? Qui n’applaudirait à une telle action? En tout cas pas Le conseil des religieux qui a rapidement réagi en affirmant que la lutte anti-corruption est «aussi importante que le combat contre le terrorisme», sauf que les milieux religieux, intellectuels et en général tous ceux qui ont émis quelque réserve sur la guerre au Yémen, sur l’isolement du Qatar ou sur l’alliance avec Israël contre l’Iran… ont subi une vague d’arrestations en septembre dernier quelque temps avant le décret royal autorisant les femmes à conduire… dans un an inchallah ! Et donc chat échaudé… devient prudent!
Au nom du père et… du fils
Ce jeune prince de 32 ans a connu en à peine deux ans une ascension fulgurante depuis l’accession de son vieux père au trône en 2015. Au ministère de la Défense, il a ajouté dans son escarcelle le titre de Prince héritier et celui de vice-Premier ministre.
En effet, le 21 juin dernier, Salman Ben Abdelaziz Al-Saoud a, par décret royal, désigné son fils Mohammed comme Prince héritier. En cédant ainsi au népotisme – cette autre caractéristique commune aux dirigeants arabes –, il foule au pied les lois et modifie l’ordre de la succession du Royaume puisqu’il a écarté son neveu, l’héritier légitime, ce qui a suscité l’insatisfaction d’une grande partie du clan et de la cour.
Et de fait, cette purge sans précédent et cette répression qui s’abat sur toute dissidence sont, peut-être, à la fois une préparation et les signes avant-coureurs du transfert total du pouvoir du père au fils dans un futur très proche.
En attendant ces pleins pouvoirs, cet hyper prince alterne la carotte et le bâton : d’un côté, il autorise la conduite pour les femmes et pour les masses, le cinéma et de l’autre, il ne lésine ni sur les bombes au Yémen ni sur la répression pour les dissidents.
Avant de nous quitter demandons-nous si cette main de fer dans un gant de velours est pour quelque chose dans la mystérieuse démission du Premier ministre libanais Saad Hariri, annoncée le samedi 4 novembre… depuis l’Arabie Saoudite.
* Universitaire.
Arabie saoudite : Quel futur roi… et pour quelles nouvelles politiques ?
Donnez votre avis