L’ancien prince héritier Mohammed Ben Nayef Ben Abdelaziz (à gauche), le roi Salmane et son fils Mohammed.
Des choses inédites sont en train de se passer en Arabie saoudite, à un rythme accéléré et, surtout, de manière imprévisible. Décryptage…
Propos recueillis par Khémaies Krimi
Après avoir initié, trois mois après sa nomination, des réformes révolutionnaires en porte-à-faux avec l’idéologie extrémiste wahhabite, promettant de nouveaux droits pour les Saoudiennes, tolérant des activités économiques jadis considérées comme «libertines» (développement du tourisme balnéaire sur la mer Rouge) et optant pour l’industrie du numérique comme alternative à l’ère post-pétrole, le prince héritier, Mohammed Ben Salmane (MBS), 32 ans, le nouveau maître du royaume, soucieux de mener à terme son projet de réforme dans des conditions idéales, vient d’étouffer une vague de contestation interne en arrêtant, au nom d’une pseudo lutte contre la corruption, des princes, des ministres et des hommes d’affaires milliardaires, le tout avec la bénédiction des Américains.
Des changements dictés par des menaces
Invité à commenter ces événements le Tuniso-américain, Sophien Bennaceur, expert en ingénierie financière et ancien candidat à la présidence, a qualifié ce qui se passe en Arabie Saoudite de «début de séisme» géostratégique qui risque d’avoir un effet d’entraînement sur tout le monde arabe.
Pour lui ces changements ont été dictés, à priori, par trois menaces. La première consiste pour MBS d’éviter au Royaume d’être un jour un Etat théocratique, similaire à celui de l’Iran voisin, et ce, par l’effet de la poussée fulgurante, ces dernières années, de l’extrémisme wahhabite.
Son objectif est d’anticiper sur ce sinistre scénario en libéralisant la société et l’économie saoudiennes et de suivre, à cette fin, l’exemple du système fédéré ultralibéral des Emirats arabes unis (EAU).
La seconde menace n’est autre que l’Iran, dont le positionnement au Moyen Orient, en tant que puissance régionale après sa victoire probable en Syrie contre Daech, aux côtés du régime Bachar Assad et du mouvement Hezbollah, est devenu préoccupant.
Ce n’est pas un hasard si le jour même où cette purge de princes, de ministres et de milliardaires, dont Walid Ibn Talel, est annoncée, les Houthi, alliés de Téhéran, basés au Yémen, lancent un missile balistique sur Riyad.
La troisième menace demeure le mouvement terroriste Daech qui, bien que vaincu militairement au prix de la mobilisation d’une des plus grandes coalitions militaires mondiales depuis la deuxième guerre mondiale, demeure une sérieuse menace pour une raison simple : le mouvement dispose toujours de ses hommes et d’une manne financière conséquente pour mener des projets de déstabilisation dans le monde arabe.
Pourquoi Washington appuie-t-il les réformes ?
Sophien Bennaceur pense également que l’appui qu’apporte Washington à ces changements montre que les Américains n’ont pas abandonné leur projet pour contrôler le Moyen-Orient au nom de l’instauration de la liberté et la démocratie, contenir les ambitions de son ennemi idéologique principal dans cette région du monde, Téhéran, et protéger son allié de toujours Israël contre ses voisins : Hezbollah et la Syrie. C’est peut-être dans cet esprit qu’il faut comprendre la démission, «sur ordre de Riyad», paraît-il, du Premier ministre libanais Saad Hariri, qui est de nationalité saoudienne. Le but serait de fragiliser le Liban en y provoquant une autre guerre civile.
Pour l’expert, il s’agit là, bien évidemment, de conjectures qui ne tiennent pas compte de la réaction des grandes puissances internationales et des puissances régionales comme l’Egypte et la Turquie. Il faudra, donc, attendre la suite des événements pour y voir plus clair.
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