Les projets de port en eaux profondes à Enfidha et d’extension du port de Radès, auxquels le gouvernement semble attacher beaucoup d’importance, suscitent des réserves.
Par Khémaies Krimi
S’exprimant, ce matin, jeudi 28 décembre 2017, sur les ondes de Shems FM, Radhouane Ayara, ministre du Transport, a annoncé deux décisions prises par un conseil ministériel restreint concernant la logistique portuaire.
La première concerne le projet du port en eaux profondes d’Enfidha qui sera bien réalisé, a affirmé, haut et fort, le ministre.
La deuxième porte sur l’extension du Port de Radès et le lancement des études pour l’achèvement des postes d’amarrage (quais) 8 et 9, un projet que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, avait annoncé, le 9 novembre dernier, à l’occasion de l’ouverture du Forum de l’investissement en Tunisie (TIF 2017).
Ces deux projets ont été fortement critiqués par plusieurs parties. Et, apparemment, les deux décisions prises semblent satisfaire toutes les parties.
Le meilleur site pour un port en eau profonde serait Bizerte
Lors de la discussion du projet de Loi de Finances 2018, le député de l’Union patriotique libre (UPL) à Bizerte, Ali Lakhoua, a demandé au gouvernement de revoir le site du projet pour deux raisons.
La première serait son coût exorbitant. Il est estimé à 3.500 millions de dinars tunisiens (MDT) et risque d’aggraver le surendettement du pays.
La seconde serait le refus des investisseurs étrangers qui ont participé à la Conférence internationale sur l’investissement (Tunisia 2020) de le financer.
Le député a rappelé que plusieurs grandes compagnies ont prouvé par leurs études que ce projet n’est pas rentable et est trop onéreux.
Port en eaux profondes d’Enfidha (plan).
Selon Jamel Eddine Chakroun, historien à Faculté des Lettres de Tunis, une première étude effectuée en 1891 par les colons français, tout autant que d’autres études ultérieures, ont prouvé que «le site idéal pour construire un port en eau profonde, au moindre coût, en Tunisie, serait la région de Bizerte, plus exactement la zone d’Errimal». L’étude française l’avait préféré, pour sa rentabilité dans le bassin méditerranéen à un site localisé à Gibraltar. Parmi les facteurs qui militent pour le choix de ce site : l’étendue de la zone, la profondeur de la mer et le mouvement favorable des vents.
Mieux, selon Jamel Eddine Chakroun, des investisseurs étrangers ont exprimé le désir de financer le port sur ce site, contrairement à celui d’Enfidha, qui risque d’être financé uniquement par le budget tunisien.
Extension du port de Radès : des présomptions de corruption
Quant à l’extension du port de Radès, elle a fait également l’objet de plusieurs objections. Le député du parti Afek Tounes, pour la délégation de Kalaa Kébira (gouvernorat de Sousse), Hafedh Zouari, est allé jusqu’à pointer du doigt des «ministres et conseillers» de Youssef Chahed d’être derrière cette décision et pour présomption de corruption.
Dans un post sur sa page officielle, adressé directement au chef du gouvernement, Hafedh Zouari, qui est en même temps opérateur dans les domaines du transport, des concessions et du montage des véhicules dans sa région, a considéré que le projet de construire deux nouveaux quais au port de Radès, le 8 et le 9, pour un coût d’environ 300 MDT, «comme un gaspillage d’argent public et une mauvaise gestion». Et le député d’ajouter à l’adresse de Youssef Chahed: «Votre dernière décision est malheureusement de nature à encourager les corrompus que je ne saurais nommer. Je me contente de dire qu’ils sont les seuls à tirer profit de ces deux nouveaux quais».
Pour lui, au lieu de construire deux nouveaux quais, l’accent doit être mis sur l’amélioration de la qualité des services pour les opérateurs économiques, rappelant que «les conteneurs sont déchargés au port de Radès à raison de cinq par heure, alors que la moyenne mondiale n’est pas inférieure à 25 par heure. C’est la corruption qui est derrière cette grande différence de temps».
La congestion chronique du Port de Radès coûte à la Tunisie 1,6% de son PIB.
Le port de Radès ne satisfait aucune partie
Il faut reconnaître que les problèmes du port de Radès et de leur coût pour la communauté sont dénoncés par plus d’une partie.
Pierre Hery, président de la commission transports et logistiques à la Chambre tuniso française de commerce et d’industrie (CFTCI) et en même temps directeur général du groupe CMA-CGM, un des leaders mondiaux du transport maritime par conteneurs, a estimé le coût des staries ou de la congestion chronique du port de Radès à 1,6% du PIB tunisien.
Le patronat avec ses deux têtes, Utica et Conect, crie au ras-le-bol et estime que la Tunisie perd, chaque année, 900 MDT à cause de la longue attente des navires qui accostent au port de Radès.
Interpellé sur cette question, Radhouane Ayara pense que «le problème n’est le port de Radès en lui-même, mais la gestion de ce port et des services qui y sont rendus par la Société tunisienne d’acconage et manutention (Stam) qui n’avance peut-être pas au niveau voulu par les sociétés d’import-export. La Stam fait certes son travail, mais pas avec la célérité requise».
Pour contourner ces contraintes, des économistes comme Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances, pressenti pour succéder à Chedly Ayari à la tête de la Banque centrale de Tunisie (BCT), propose la mise au point d’une stratégie en trois points pour améliorer la logistique portuaire en Tunisie: restructuration des six ports commerciaux du pays, décentralisation d’une grosse partie des activités du port de Radès et option pour leur spécialisation.
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