L’appel à acheter tunisien pour réduire le déficit de la balance commerciale est compréhensible, mais est-ce vraiment raisonnable ?
Par Salah El-Gharbi
Le déficit de la balance commerciale, la dépréciation du dinar tunisien, la hausse des prix et son corollaire, la baisse du pouvoir d’achat des citoyens suscitent des réactions en chaîne dans les réseaux sociaux et les médias. Ainsi, hommes politiques, représentants de la société civile et journalistes se pressent pour expliquer, commenter, s’indigner, dénoncer et, rarement, pour proposer des solutions à une crise économique qui, d’ailleurs, n’est pas l’apanage de la Tunisie.
En deux temps trois mouvements
Chacun y va donc de sa petite musique. D’abord, les dirigeants des mouvements de gauche sautent sur l’occasion pour fustiger la politique libérale du gouvernement qui serait, selon eux, à l’origine de la crise. Et appellent à changer de modèle de développement, sans pour autant proposer de méthode ou de recette, comme si une pareille opération, si tant est qu’on a une idée claire de ce qu’il faut faire, pouvait être menée en deux temps trois mouvements.
Sur les réseaux sociaux, des activistes mènent une campagne sur le thème fédérateur du «consommer tunisien», en s’indignant, au passage, de voir le marché tunisien envahi par les biens de consommation importés, alors qu’ils sont produits par l’industrie locale. Un journaliste, un peu remonté, est allé même jusqu’à tacler, sans la nommer, une grande personnalité du monde de l’entreprise, qui, selon lui, se targue «d’agir dans l’intérêt du pays, alors qu’elle vient de lancer la franchise d’une enseigne internationale spécialisée dans le prêt- à-porter», concurrençant ainsi la production «made in Tunisia».
D’ailleurs, dans leurs argumentaires, certains vont jusqu’à invoquer en exemple le protectionnisme de Trump, devenu, paradoxalement, un modèle pour certains dirigeants dits de gauche, qui feignent d’oublier que les Etats Unis possèdent un marché de plus de 400 millions de consommateurs, qui pourrait se suffire à lui-même si les Américains décidaient, un jour, de se passer du reste du monde.
S’il est sain de s’inquiéter pour le déséquilibre de notre balance commerciale et pour la dépréciation de notre Dinar, il serait inefficace et inapproprié de s’enfermer dans des solutions faciles, aussi séduisantes soient elles. Dire que l’autarcie serait capable de protéger notre industrie, c’est faire preuve d’une méconnaissance de la réalité dans monde dans lequel nous vivons.
Il n’y a pas de solutions-miracles
En fait, dans un monde aussi globalisé que le nôtre, les économistes sont presque unanimes pour dire que le repli sur soi ne saurait être la solution pratique et efficace pour insuffler une réelle dynamique à l’industrie nationale. Au contraire, «consommer tunisien» ne rendrait service ni au consommateur, lequel, dans un marché non-concurrentiel, va voir les prix flamber et son pouvoir d’achat se dégrader inexorablement, ni au producteur qui, en perdant de sa compétitivité, ne saurait évoluer et s’adapter aux développements en cours, ne fut-ce que dans sa propre filière.
De même, est-il à rappeler à ceux qui appellent à l’autarcie que la Tunisie est liée par des conventions de libre échange et que si nous refusons les produits des autres pays, ces derniers feraient de même pour nos produits. Il faut admettre qu’il n’y a pas de solutions-miracles et que pour espérer améliorer les exportations, on doit aider les industriels à être plus compétitifs et plus performants et à s’adapter à la mondialisation qu’on diabolise, parfois, tout en profitant de ses avantages.
Les solutions peuvent être aussi politiques. Ainsi, et même si les pouvoirs publics ont les mains liés par les traités internationaux, des manœuvres restent possibles pour circonscrire les méfaits du libre-échange. Il s’agit de recourir aux mesures douanières drastiques, non pas en augmentant les taxes, mais plutôt en jouant sur les mesures non-tarifaires, par exemple, en imposant des normes strictes (d’ordre sanitaire) pour empêcher l’importation de certaines marchandises turques, chinoises ou autres, souvent d’ailleurs contrefaites et de très mauvaise qualité.
Le débat sur l’opportunité du «consommer tunisien» trahit un paradoxe constitutif de la personnalité du Tunisien. Au-delà des discours et des postures diverses, l’engouement de ce dernier pour les produits fabriqués en Occident est incommensurable. Et c’est ce même Tunisien qui bave devant un tee-shirt «griffé», qui s’indigne, sans transition, de l’invasion des produits venus d’ailleurs pour «tuer nos entreprises et briser nos emplois».
Aussi, et même si l’appel à «consommer tunisien», dans ses motivations et objectifs, reste compréhensible, il n’en trahit pas moins une attitude incohérente et contradictoire, qui ne tient compte ni de la réalité du monde ni des besoins et des comportements des consommateurs.
#Créateurs_619 : Expo-vente pour inciter à consommer tunisien
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