Saddam Hussein / Kim Jong-un.
La voie vers la paix, qui doit toujours constituer l’objectif immuable, n’aurait aucune signification tant qu’elle ne se fonde pas sur une puissance capable de l’imposer.
Par Dr Mounir Hanablia *
Pourquoi les Nord-coréens fabriquent-ils des missiles et des bombes nucléaires, et pas les Arabes ? Trois pays arabes avaient essayé de se doter d’une industrie d’armement autonome et sophistiquée, mais sans grand succès.
Les tentatives nucléaires arabes avortées
Il y avait d’abord eu l’Egypte pour essayer de fabriquer des fusées avec à ce qu’on dit l’aide de techniciens allemands issus du troisième Reich mais sans résultats probants, apparemment du fait d’un manque de maîtrise du système de guidage.
L’Irak, dont la guerre prolongée avec l’Iran lui avait fait acquérir dans les années 80 un savoir-faire certain en matière balistique, métallurgique, et de réparation, avait planifié un ambitieux programme de transfert technologique dans le domaine de l’armement avec un afflux d’un grand nombre de savants tels que l’atomiste égyptien Yahya El Mashad, assassiné à Paris, et le balisticien canadien Gerald Bull, à Bruxelles, tous les deux par les services spéciaux israéliens. Le programme atomique irakien avait volé en éclat en juin 1981 avec la destruction par l’aviation israélienne du réacteur nucléaire Osirak construit avec l’aide de la France.
Enfin, la Libye de Kadhafi avait essayé de se doter d’une industrie d’armement, mais mises à part des usines d’armement chimique auxquelles elle avait dû renoncer pour obtenir la levée de l’embargo imposé après l’attentat de Lockerbie, la Libye n’avait jamais donné l’impression d’avoir les capacités requises à l’établissement d’une véritable industrie d’armement.
En fait donc, au sein des pays arabes, seul l’Irak de Saddam Hussein avait semblé capable de devenir une véritable puissance militaire, mais la guerre avec l’Iran allait le ruiner financièrement et le conflit avec le Koweït allait entraîner la destruction de son infrastructure, sa mise sous tutelle, son démembrement, puis son occupation militaire. Les missiles tirés sur Israël lui coûteraient très cher.
Irak-Corée du Nord : similitudes et différences
Cela dit, quels sont les points communs qu’on pourrait relever entre la Corée du Nord actuelle de Kim Jung Un, et l’Irak de Saddam? Mis à part un parti unique omniprésent, et un régime totalitaire basé sur le culte de la personnalité du chef, très peu. Pourtant, les deux pays allaient voir leur intégrité territoriale détruite. La Corée du Nord actuelle est en réalité une partie d’un pays qui a été divisé depuis la guerre qui l’avait dévasté, mais l’Irak, quoique disposant d’une cohérence historique depuis la plus haute antiquité, et de l’intégrité territoriale sous Saddam, n’avait été qu’un patchwork de communautés et de peuples dont la cohésion politique avait été assurée par la mainmise du clan sunnite de Tikrit sur l’appareil du pouvoir, au nom d’une mythique nation arabe dont un parti internationaliste qualifié de Baath, ainsi que de multiples mouvements révolutionnaires palestiniens et libanais, maintiendrait la fiction.
La Corée du Nord elle n’a jamais eu l’ambition d’exporter l’internationalisme prolétarien, ou d’unifier le continent asiatique; par contre sa seule ambition, disons celle de sa dynastie de dictateurs, a été d’unifier la péninsule coréenne, et en ce sens, depuis la détente entre les Etats Unis et la Chine, et depuis l’ouverture économique libérale de ce pays, la Corée du Nord n’apparaissait plus qu’un vestige anachronique appelé à disparaître, d’un monde à jamais révolu. Et n’ayant aucun poids économique, ni stratégique, son devenir n’intéressait il est vrai pas grand monde, il suffisait que la frontière du 38e parallèle fut verrouillée. C’est ce qui explique que ce pays eût pu développer dans la plus grande tranquillité ses capacités militaires stratégiques, et que le monde ne s’en fût aperçu que le jour où il eût fait exploser sa première arme atomique, sa proximité avec le Japon rendant toute tentative de désarmement par la force fortement hasardeuse.
On ne pensait pas la Corée du Nord, ce pays pauvre et sans ressources, capable d’acquérir la maîtrise nécessaire pour l’enrichissement de l’uranium, ou la fabrication de l’eau lourde. S’il l’a fait, c’est qu’il a forcément été aidé par d’autres pays. On a évoqué le Pakistan, l’Iran. Mais on n’en sait pas plus.
Les expériences du Pakistan et de l’Iran
Le Pakistan, pays musulman non arabe, doublement menacé dans les années 70 et 80 à l’Est après la sécession du Bangladesh et à l’Ouest avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan, avait bénéficié de la garantie américaine pour développer ses armes nucléaires stratégiques, qui posent aujourd’hui un problème majeur, on ne sait plus qui des services secrets pakistanais ou des talibans, dirige aujourd’hui le pays.
Quant à l’Iran, c’est exactement le cas inverse, celui d’un programme militaire dont Israël et les Etats Unis empêchent durablement le développement, du moins dans le domaine du nucléaire. En conclusion, il semble que la doctrine stratégique américaine pose comme axiomes l’interdiction de toute puissance nucléaire locale dans le Golfe, et la présence d’une seule puissance nucléaire dans le Proche Orient et l’Afrique du Nord, Israël.
Le seul pays arabe qui eût pu s’ériger en puissance économique et militaire crédible, l’Irak, a été détruit et démembré; l’Egypte depuis les accords de Camp David de 1977 a désarmé, et l’Algérie n’a jamais eu l’ambition de développer une puissance militaire stratégique. Les géants du pétrole du Golfe ne sont que des protectorats des Etats Unis. La Syrie, elle, paie d’une guerre destructrice et d’éclatement territorial l’appui qu’elle a apporté au Hezbollah en 2006.
Il reste cette dernière organisation qui, dans un territoire minuscule de 900 km2, est arrivé à assurer une dissuasion crédible face à l’une des armées les plus puissantes du monde. Ceci démontre une chose : la disparition des grands Etats nationaux issus des accords de Sykes-Picot et de la décolonisation au profit de multiples entités ethno-territoriales ne constitue nullement une garantie de paix ou de sécurité pour Israël et les Etats Unis, et la meilleure preuve en est d’abord qu’en Syrie, des risques sérieux d’une confrontation militaire avec la Russie existent désormais.
D’autre part et pour ceux qui parmi les peuples situés entre le Golfe et l’Océan , s’illusionnent sur la paix que le désarmement matériel mais aussi moral pourrait apporter (multipartisme, communalisme, fractionnement ethno-identitaire, identités de substitution), ce n’est là que la guerre par d’autres moyens; le prix à payer, quand ce n’est pas le terrorisme, en est un hyper libéralisme qui ne laisse aucune place au contrat social ou citoyen, quand il n’est pas concomitant d’un endettement rendant illusoire toute prétention à une quelconque indépendance nationale vis-à-vis du marché financier international.
En conséquence de quoi, si la voie vers la paix doit toujours constituer l’objectif immuable, celle-ci ne saurait avoir aucune signification tant qu’elle ne se fonde pas sur une puissance de moyens, capable de l’imposer. C’est ça la différence entre nations faibles et nations fortes.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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