Décidément, nos institutions post révolutionnaires ont cette fâcheuse tendance à prendre le temps de goûter au confort du pouvoir. C’est le cas, notamment, de l’Instance Vérité et Dignité (IVD).
Par Faïk Henablia *
Nous l’avons vu avec l’Assemblée nationale constituante (ANC), qui avait pris ses aises, trois ans durant, alors qu’elle était censée nous rédiger une constitution en seulement un an puis passer la main et y avons, de nouveau, droit, avec l’IVD qui, non contente des quatre ans lui ayant été assignés, vient de décider que, sans une auto prolongation, d’un an, elle ne serait pas en mesure de parachever sa mission.
La question se pose, bien entendu, de savoir si cet organe va pouvoir accomplir, en un an supplémentaire, ce qu’il reconnaît n’avoir pu accomplir en quatre ans.
Il est vrai que les tâches qui lui ont été assignées sont immenses : recenser les exactions commises par le régime entre… 1955 et 2013 (excusez du peu). Il est d’ailleurs à remarquer que seules les exactions du pouvoir sont visées et non celles de l’opposition, contrairement par exemple, à la célèbre Commission Vérité et Réconciliation, instaurée par l’Afrique du Sud post apartheid, dont la compétence s’étendait aux exactions commises par l’ANC et les groupes d’opposition. Ainsi, des actes de défiguration à l’eau de javel par exemple, si caractéristiques de pratiques de certains de nos groupes politiques à une certaine époque, eurent-ils été couverts par l’instance sud-africaine.
L’IVD doit en outre statuer sur l’indemnisation des victimes par le recueil et l’examen des témoignages, l’audition des plaignants, le lancement d’enquêtes, etc.
Pillage en règle des finances de l’Etat
Un fonds baptisé Al Karama d’indemnisation des victimes a été, en outre, institué, à la caractéristique, fort fâcheuse, que nul ne semble trop vouloir mettre la main à la poche pour le financer.
Un fonds non financé étant, en général, quelque peu dépourvu d’efficacité, il était bien évident que le gros de l’indemnisation des victimes et martyrs de la révolution allait prendre une autre forme, et avoir lieu bien en dehors de l’IVD… à supposer qu’il n’ait déjà eu lieu antérieurement à la création de celle-ci.
Que l’on en juge : quelques 150.000 fonctionnaires avaient ainsi déjà été recrutés à partir de 2011, particulièrement en 2012 et 2013.
Pour ce faire, une loi exceptionnelle avait, en effet, facilité en 2012, à l’époque de la «Troïka» (l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, Ndlr), l’accès, sans concours, à l’administration publique, pour les membres des familles des martyrs et blessés de la révolution ainsi qu’aux bénéficiaires de l’amnistie générale de 2011.
Inutile de préciser que ces recrutements avaient été effectués dans une opacité totale, au mépris de toute transparence et avaient étrangement bénéficié aux partisans de certains courants politiques; une coïncidence sans doute.
Toujours est-il que cette affaire a eu pour conséquence un pillage en règle des finances de l’Etat, portant le déficit budgétaire et l’endettement national à des niveaux inédits, (respectivement 6% et 67% du PIB en 2017), sans parler des conséquences en chaîne, telles que la dégradation de notre note de crédit, l’effondrement de la monnaie nationale , le dinar tunisien (DT), le recours au FMI, etc. Tout un effort de crédibilité internationale, en matière de respect des échéances de la dette, mis à mal.
Règlement des comptes avec les adversaires politiques
Il est dès lors légitime de se demander si l’IVD ne se sentirait pas quelque peu désœuvrée et inutile, vu que l’essentiel de ce qui lui avait été assigné semble s’être réalisé en dehors d’elle; car ce ne sont tout de même pas les quelques émissions de voyeurisme collectif à la télévision qui vont changer quoi que ce soit à l’affaire, même si elles constituent l’un des (rares) points communs avec la pratique sud-africaine.
Et du coup, pour meubler le temps, quoi de mieux que de régler ses comptes avec ses adversaires politiques supposés, en tentant de les déconsidérer, en feignant de découvrir et de révéler à l’opinion des traités remontant à plus de soixante ans, par ailleurs publics et accessibles à tous, concernant l’exploitation abusive par la France de nos richesses nationales? Peu importe si d’autres traités conclus ultérieurement, que l’on se gardera, bien entendu, de mettre en avant, les ont rendus caducs.
Soit dit en passant et en prenant exemple de de la manière dont nos ressources minières de Gafsa sont «exploitées», il y a lieu de se demander si d’autres ne feraient pas mieux que nous.
Comment, d’ailleurs, ne pas rapprocher cette pseudo révélation, de la campagne «Winou El-Petrol», menée il y a quelque temps à l’initiative d’abrutis ayant manifestement oublié qu’ils venaient juste de quitter le pouvoir et qu’ils étaient en charge de la gestion du pays et de ses ressources naturelles?
Si l’IVD compte désormais se concentrer sur les traités internationaux conclus par la Tunisie au cours des soixante dernières années, il y a fort à parier qu’une seule année d’auto- prolongation n’y suffira pas.
À moins qu’il ne s’agisse d’une manœuvre destinée à détourner l’attention de la tentative, avérée, de transfert d’archives nationales à une entreprise étrangère spécialisée, en dehors de Tunisie, en vue de leur hébergement ! Pillage d’archives contre pillage de ressources en somme.
Mais pour en revenir à l’instance sud-africaine évoquée ci-dessus, j’allais oublier de mentionner qu’elle était présidée par Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap, personnalité de réputation mondiale respectée, incontestable et incontestée.
Notre IVD, par contre…
* Gérant de portefeuille associé.
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