C’est ce que pense avec force l’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud dans un article du ‘‘Point’’ publié le 19 juillet 2018, reproduit 2 jours plus tard, dans ‘‘Les dernières infos d’Algérie’’ et intitulé : «La victoire des Bleus est un échec de l’Afrique».
Par Jamila Ben Mustapha *
Son intention est de fustiger, par là, les réactions de certains commentateurs des pays du sud qui ont prétendu que la victoire de l’équipe française de football à la Coupe du Monde est «une victoire de l’Afrique».
L’argument sur lequel ces derniers s’appuient est que la majorité des 23 joueurs français ont des parents issus de l’émigration africaine. À cette affirmation tranchée, a répondu ainsi, une affirmation tout aussi tranchée de l’écrivain algérien : il ne s’agit pas d’une victoire, mais bel et bien d’un échec de ce continent.
Une position dure, sans nuances et, à la limite, injuste
Il est normal que la fonction d’un intellectuel engagé est d’exercer sa fonction critique sur sa société afin de la faire avancer. Le philosophe Michel Onfray, par exemple, concentre ses accusations sur la France et l’Occident. Kamel Daoud, lui, cible l’Algérie et le monde arabe dans ses remises en question.
La différence entre les deux écrivains, c’est que le premier est conscient que, citoyen d’un pays développé qui admet, somme toute, la liberté d’expression, il n’a rien à perdre, contrairement à Kamel Daoud pour qui la tâche est bien plus ardue.
Nos sociétés viennent de sortir, en effet, il y a environ un demi-siècle, de la colonisation. Elles attribuent beaucoup de leurs difficultés aux anciens dominateurs et, n’étant pas de réelles démocraties pour la plupart, elles ne pratiquent pas l’autocritique qui, pourtant, seule, permet à une société d’avancer. C’est ce qui explique l’agressivité qui se déchaîne contre le chroniqueur algérien, à chaque fois qu’il dirige ses attaques contre l’Algérie ou le monde arabe.
À ce propos, autant nous avons compris son attitude concernant les événements de Cologne du réveillon 2015 à propos desquels il a affirmé que l’agression collective, dans cette ville, de passantes par des immigrés d’origine arabe, révélait l’existence d’un problème grave dans les rapports des agresseurs avec la femme, autant sa position concernant la volonté des Africains de revendiquer leur part dans la victoire de la France, lors de la Coupe du Monde de football, nous a paru dure, sans nuances et, à la limite, injuste.
Pour lui, parler de «victoire de l’Afrique» est un contresens, une attitude de déni, de rancune, d’ambiguïté vis-à-vis d’une France que l’on dénigre tout en cherchant à y vivre et d’une Afrique que l’on affirme aimer tout en voulant la fuir.
C’est qu’il place sur le même plan les pays d’Occident et d’Afrique comme si c’étaient 2 entités égales, et refuse de tenir compte de leurs rapports historiques marqués par la domination des uns sur les autres.
Les pays développés offrent de meilleures conditions de succès
Certes, comme il l’affirme, la colonisation ne doit pas être un prétexte à rejeter, de façon permanente, toutes ses difficultés sur l’Autre en n’exigeant rien de soi. Mais quand les pays européens ont voulu s’industrialiser au XVIIIe siècle, ils n’avaient pas à faire face à un inconvénient majeur, celui d’un ensemble de pays ne pensant qu’à leurs propres intérêts, qui les auraient occupés dans le passé et dont le seul but serait dorénavant de bloquer leurs efforts de développement en continuant leur domination sous des formes plus discrètes, en plaçant et encourageant à la tête de leurs États des dictateurs corrompus, et en se souciant principalement de continuer à faire main basse sur les richesses de leur sous-sol.
Ce n’est pas un homme de gauche, c’est l’ancien président Jacques Chirac qui a affirmé à ce propos, en 2001, au sommet du Cameroun: «Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières; après, on a dit : ils [les Africains] ne sont bons à rien. Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d’élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons».
Nous pourrions ainsi ajouter, concernant la Coupe du Monde de football, que les anciens occupants voudraient détourner à leur profit, non seulement les richesses minières des Africains, quelques-uns de leurs cerveaux, mais aussi la force musculaire de leurs athlètes, surtout émigrés, se trouvant donc sur place, car même s’il y a une différence incommensurable entre les choses et les personnes, de même que nous, Tunisiens, livrons notre huile d’olive en vrac pour qu’elle soit raffinée en Europe, de même les compétences humaines provenant du sud ne peuvent souvent donner la pleine mesure de leurs possibilités qu’en jouissant des conditions bien meilleures offertes par les pays développés d’Occident.
La part du sud, à l’échelle mondiale, ce sont donc la matière première et les compétences humaines existant le plus souvent seulement à l’état de potentialités bloquées; la spécialité du nord est la fabrication du produit fini et la formation la plus pointue réservée aux êtres prometteurs, d’où qu’ils viennent, dans les divers domaines.
La dette que la France doit à l’Afrique
C’est pour cela que nous trouvons l’attitude de Kamel Daoud vis-à-vis de l’Algérie et de l’Afrique d’une extrême rudesse, se voulant délibérément ignorante d’une histoire passée qui a faussé un rapport entre le Nord et le Sud devenu trop inégal, et rendant par là, infondée, toute sa sévérité contre l’Afrique, traitée comme si c’était un continent développé qui n’a délibérément rien fait pour retenir les siens.
Au vu de ce contexte compliqué qui lie l’Occident aux pays anciennement dominés, il n’était pas possible pour les gens du Sud, lors de la dernière la Coupe du Monde de football, de ne pas remarquer la proportion importante de Français d’origine africaine que renferme l’équipe victorieuse des Bleus, de ne pas rappeler, par là, à la France, une partie de la dette qu’elle doit à l’Afrique dans sa récente victoire, et de trouver logique que l’Europe se plaigne des problèmes posés par l’afflux vers elle de populations du Sud, pourtant recherché et accepté au début, par manque de main d’œuvre, et soit moins éloquente, passe sous silence les bénéfices que cette émigration représente aussi pour les pays d’accueil.
* Universitaire et écrivaine.
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