La reprise du tourisme tunisien, qui est réelle et dont on doit se féliciter, ne doit pas cacher à nos yeux les problèmes chroniques de cette industrie dont l’apport financier est très en-deçà de son potentiel estimé par les professionnels et les experts du secteur.
Par Imed Bahri
En ce qui concerne la reprise du tourisme tunisien, après deux années difficiles, 2016 et 2017, on ne peut que s’en féliciter, à l’instar de Salma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, et des professionnels du secteur, hôteliers, agents de voyages, transporteurs, etc. Il n’en est pas moins vrai que cette reprise reste anecdotique et fragile pour plusieurs raisons. D’abord, elle est surtout le fruit de la politique de bas prix pratiquée par les opérateurs tunisiens et de la dégringolade spectaculaire et historique du dinar tunisien.
Des recettes très en-deçà des espérances
C’est ce que pense, notamment, Habib Glenza, expert du tourisme tunisien basé en Pologne. «Notre tourisme reste encore bas de gamme et moins compétitif qu’on ne le croit. Le bradage des prix que nous appliquons est une sorte de concurrence déloyale vis-à-vis des autres destinations touristiques méditerranéennes», dit-il. Et d’ajouter : «Même si la reprise permettra au tourisme tunisien d’atteindre ou de dépasser le niveau des entrées et des nuitées de 2010, les recettes, elles, atteindront la moitié de celles de cette année de référence, vu que l’euro valait 1,9 DT, il y a sept ans, alors qu’il est échangé aujourd’hui à 3,1 DT».
Il ne faut donc pas pavoiser. Il convient plutôt de chercher les moyens de valoriser la destination Tunisie, qui ne sait pas encore tirer profit de la richesse de ses produits touristiques (riche histoire, innombrables sites archéologiques, beauté des oasis et du Sahara, tourismes de santé, sportif, nautique et autres), sachant que «le tourisme balnéaire, dit de masse, où se confinent nos opérateurs, ne suffit pas pour rentabiliser l’activité touristique et relever le taux annuel moyen d’occupation de notre capacité d’hébergement», estime M. Glenza. Il explique : «Pour réaliser cet objectif, le ministère de tutelle doit instaurer une véritable stratégie à moyen et long termes pour meubler la basse et moyenne saisons. Etant donné que notre capacité d’hébergement dépasse les 200.000 lits, nous pouvons recevoir au moins 20 millions de touristes par an», soit le double des 10 millions espérés pour les prochaines années
Le tourisme de masse ne sera jamais rentable
Pour notre expert, le tourisme de masse ne sera jamais rentable, au contraire il endettera davantage nos hôtels. Aussi s’interroge-t-il : «Si nous sommes incapables de rentabiliser notre tourisme, pourquoi avons-nous réalisé une telle capacité d’hébergement et pourquoi continuons-nous à construire des unités hôtelières de luxe?»
Autre talon d’Achille du tourisme tunisien, la mauvaise qualité des services, dont se plaignent souvent les clients, toutes catégories confondues et depuis de longues années déjà, et à laquelle on n’a pas encore trouvé des solutions adéquates. «Seules les formations de base et continue peuvent améliorer la qualité de nos services, notamment le service linge qui constitue l’image de marque d’un hôtel», estime encore M. Glenza, qui insiste, dans ce contexte, sur «les buanderies hôtelières, qui doivent désormais traiter le linge selon la norme européenne RABC, qui jusque-là est imposée aux hôpitaux, vu le risque de contamination du linge par des microbes et qui peuvent causer des maladies graves que l’on croyait éradiquées.»
Le bradage des prix n’aidera pas à améliorer les services
Autre piste envisagée pour améliorer la qualité des services hôteliers, le reclassement des hôtels, qui est certes indispensable mais pas suffisant. En effet, «tant que l’hôtelier ne touche qu’une bagatelle qui ne couvre même pas la consommation de la nourriture, du fait du bradage des prix, et tant qu’il ne fournira pas une qualité de service, on fera face à ce cercle vicieux», souligne M. Glenza, qui cite la Croatie, Malte, la Turquie et le Maroc, quatre destinations méditerranéennes concurrentes de la Tunisie, qui sont des exemples à suivre en matière de tourisme. Et pour cause : ces 4 pays, qui ont développé plus tardivement que nous leur activité touristique, réalisent chacun des recettes 3 à 4 fois plus importantes que les nôtres.
«Un petit pays comme la Croatie, qui compte 4,5 millions de personnes, reçoit le double de sa population, soit 11 millions de touristes», rappelle, à juste titre, M. Glenza, qui insiste, dans ce même contexte, sur la nécessité de développer une activité qui peut avoir un impact plus important que le tourisme sur l’économie tunisienne, à savoir l’agriculture. Cette année, 3 produits agricoles (huile d’olive, dattes et produits de la mer) ont rapporté à la Tunisie plus de 2.500 millions de dinars tunisiens (MDT), autant sinon plus que le tourisme, rappelle-t-il.
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