Qui l’eut cru ? Quelque 60.000 Tunisiens ont émigré, en 2018, avec des papiers en règle à la recherche d’un job contre environ 4.000, qui l’ont fait clandestinement, en grande majorité vers l’Italie.
Par Khémaies Krimi
Cette bonne nouvelle, parce que c’en est vraiment une, a été révélée par la cheffe de la mission de l’Organisation internationale des migrations (OIM), Lorena Lando, à l’occasion de sa participation, du 26 au 27 septembre 2018, à Tunis, au 9e Forum international des Ong organisé en partenariat avec l’Unesco et l’Institut arabe des droits de l’homme (IADH) sur le thème : «Un autre regard sur les migrations humaines».
Ces 60.000 nouveaux emplois rémunérés en devises viennent non seulement réduire, un tant soit peu, le nombre des chômeurs en Tunisie (un stock stable de plus de 600.000) mais prouver par la même occasion que le travailleur tunisien ou le Tunisien en général est toujours bien accepté à l’étranger, mais dans le cadre de l’émigration organisée.
Nous avons constamment plaidé dans Kapitalis pour cette émigration encadrée et mis l’accent sur le rôle qu’elle peut jouer dans l’embauche de dizaines de milliers des diplômés sans emploi, moyennant une formation préalable adaptée aux besoins des pays demandeurs de main d’œuvre.
La diplomatie économique peut faire mieux
Il y a une année, dans un entretien accordé à Kapitalis, Sophien Bennaceur, expert en gestion de crise, proposait au gouvernement d’«actionner le levier de la diplomatie économique pour placer à l’étranger quelque 250.000 travailleurs sans emploi dans le cadre de l’émigration organisée ou contrôlée». L’expert tuniso-américain estime que «des pays comme l’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Allemagne, les pays du Golfe, les pays africains et autres sont demandeurs de travailleurs en règle. Il suffit de zapper sur le net pour s’en rendre compte».
Pour réunir toutes les conditions de succès à cette opération, ce dernier a suggéré au gouvernement «de se préparer en amont et de mettre en place une base de données exhaustive des postulants à l’émigration organisée, de leur qualification, de leur spécialité et savoir faire».
Le gouvernement semble avoir compris le message. Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Faouzi Abderrahmane semble «très sensibilisé» à cette question mais il ne cesse de brandir l’obstacle du coût exorbitant de l’équipement des centres de formation, censés préparer les postulants à l’émigration organisée, comme si la formation d’aides soignants, de jardiniers, d’aides aux personnes âgées, de plombiers, de conducteurs de poids lourds…, exigeaient une formation pointue et coûteuse.
Le gouvernement ne communique que sur les mauvais chiffres
Pour revenir aux 60.000 tunisiens qui ont émigré légalement en 2018, nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur le fait que le gouvernement n’a pas cru devoir communiquer à propos d’une aussi bonne nouvelle et donner l’occasion à une responsable étrangère de l’annoncer. La création, par le biais de l’émigration légale, de 60.000 emplois, auxquels il faut ajouter une partie des 4.000 clandestins qui se sont débrouillés pour en trouver dans les pays d’accueil, relève pourtant de l’exploit en cette période de récession économique aiguë.
Outre les 600.000 chômeurs, le sureffectif dans la fonction publique, qui compte plus de 700.000 salariés, le net recul des réserves en devises, la hausse de l’inflation, le surendettement extérieur ou le déficit de la balance commerciale, qui sont autant de facteurs qui dépriment, il y a quelques bonnes nouvelles qui, dans cette morosité ambiante, méritent d’être mises en avant, ne fut-ce que pour se donner le moral. Ce que le gouvernement ne fait pas assez…
Pourtant, et à y regarder de près, les choses sont en train de s’améliorer de manière significative, notamment en matière de lutte contre le chômage et de réduction du poids de la masse salariale de la fonction publique dans le budget.
Pour preuve, en 2017 et en 2018, il y a eu des mesures d’austérité très sévères : suspension des recrutements dans la fonction publique, non-remplacement des départs à la retraite et l’incitation aux départs volontaires. Néanmoins, aucune indication officielle n’a filtré, jusqu’à ce jour, sur le nombre des fonctionnaires concernés par ces départs. Même le très sérieux Institut national de la statistique (INS) ne s’y est pas intéressé.
C’est comme si le célèbre tryptique «maquillage, verrouillage et quadrillage», dont parlait Béatrice Hibou dans son livre ‘‘La force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie’’ pour décrire l’inaccessibilité à l’information au temps de Ben Ali, perdure toujours.
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