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L’énergie en Tunisie : Des abus importants mais pas encore de sanctions

Les rapports et les études qui épinglent la mauvaise gestion du secteur des hydrocarbures en Tunisie, ses dysfonctionnements et les suspicions de corruption l’entourant, se suivent et se ressemblent. Mais le gouvernement tarde à réagir pour faire le point sur les abus constatés, mettre en œuvre des solutions pour y remédier et demander des comptes aux fauteurs.

Par Khémaies Krimi

Les deux derniers rapports en date sur ce sujet ont été rendus publics, successivement, le 14 et le 19 décembre 2018.

Le premier est une ‘‘Rétrospective du secteur tunisien de l’énergie’’, un volumineux ouvrage de 562 pages rédigé par des experts indépendants regroupés au sein d’une organisation non-gouvernementale, l’Association tunisienne du pétrole et du gaz (ATPG).

Une étude de référence

L’étude, qui se propose de fournir au grand public une synthèse de l’histoire récente du secteur et des différentes problématiques auxquelles il est confronté, couvre pratiquement toutes les branches d’activités du secteur : cadre réglementaire et fiscal, exploration, production, raffinage, distribution, gaz, électricité, efficacité énergétique, énergies renouvelables, innovations, services pétroliers, impact du secteur sur l’économie du pays, coopération régionale…

Mention spéciale pour les décryptages et éléments d’analyses et de réponse que les 13 experts- auteurs de cet ouvrage ont apportés pour éclairer chercheurs, médias et opinion public sur les spécificités de ce secteur et sur ses difficultés.

Le second rapport a été également rédigé par un autre Ong, l’Association tunisienne des contrôleurs publics (ATCP). Intitulé ‘‘Les dessous des contrats d’hydrocarbures en Tunisie’’, ce document plus provocateur mais moins exhaustif, revient sur les dysfonctionnements et les abus en la matière. Le rapport étudie 93 contrats accordés depuis 2016, vise à vérifier leur conformité aux lois et réglementations régissant le secteur de l’énergie.

Les concessions qui posent problème

Principales révélations du rapport : sur un total de 57 concessions d’exploration et de recherche accordées, 10 n’ont pas achevé le développement de leur gisement et 8 nécessitent l’ouverture d’une enquête ou la publication de leurs résultats.

Ces dernières sont Sidi Letaiem (Kerkennah), Sidi Behara (Kerkennah), Franig (Medenine), El Borma (Tataouine), Baguel Turfa (Douz), Halk El Menzel (Monastir), Didon (Gabès) et Oudhna (Hammamet).

Le rapport cite 4 chiffres clés. L’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap) ne participe pas à 9 concessions, les plus rentables, semble-t-il. Le nombre des permis dont la validité n’a pas été respectée s’élève à 22. Celui des permis abandonnés est estimé à 13. Trois permis nécessitent l’ouverture d’une enquête en raison de graves abus constatés. Quatorze permis ont fait l’objet de dépassement de la durée de prolongation…

Pour mémoire, ces deux rapports interviennent après la publication de plusieurs autres dont 3 émanant de prestigieuses institutions de contrôle de l’Etat, comme la Cour des comptes.

Les dysfonctionnements connus depuis huit ans

Le premier rapport a été établi, au lendemain du soulèvement du 14 janvier 2011, par une institution révolutionnaire, en l’occurrence la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation, qui était présidée par le défunt Abdelfettah Amor.

Le second a été publié, en 2012, par une institution républicaine, la Cour des comptes.

Le troisième, plus récent, a été élaboré, en 2015, à la demande du Fonds monétaire international (FMI), par la direction du Contrôle général des finances (CGF) en collaboration avec le Contrôle général des services publics (CGSP) et le Contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières (CGDEAF).

Ces trois rapports ont fait état de défaillances au quadruple plan de la gouvernance, de la négociation des contrats, de la production et de l’exportation, autant de facteurs que le Code des hydrocarbures actuel devait en principe couvrir.

Au nombre de celles-ci figurent l’absence, à tous les niveaux, de stratégies cohérentes pour le développement du secteur; l’absence de coordination entre les structures chargées de la gestion du secteur : Office des mines, direction générale de l’énergie, Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap), Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg), Société tunisienne des industries de raffinage (Stir)…; l’absence de répertoire des contrats et conventions conclues avec les opérateurs étrangers; l’absence d’un système d’information fiable accessible à tous et dissuadant toute manipulation mal intentionnée ; et, last but not least, l’absence de contrôle a posteriori.

Ces rapports ont également mis le doigt sur la faible capacité de négociation des acteurs publics en charge de la gestion du secteur. Résultat : la plupart des contrats conclus jusque-là ont profité aux opérateurs étrangers. L’Etap, qui porte tantôt la casquette de partenaire et tantôt de représentant de l’Etat, ne participe bizarrement qu’aux gisements à faible rentabilité et à faible revenu.

Par-delà les révélations de ces rapports et études sur les abus constatés, le ministère de l’Energie, qui a été supprimé par le chef du gouvernement Youssef Chahed, le 31 août 2018, et rattaché à celui de l’Industrie, pour présomptions de corruption, n’a pas daigné ni réagir aux conclusions de ces rapports ni prendre des initiatives (de type audit international) pour remédier à la situation. C’est pour le moins bizarre. Laisser-aller ? Incompétence ? Complaisance ? Complicité ? Corruption ?

Touts ces hypothèses sont à retenir en attendant que les pouvoirs publics daignent enfin réagir et faire le point sur les abus constatés, mettre en œuvre des solutions pour y remédier et, surtout, demander des comptes aux auteurs des abus identifiés, qu’il s’agisse de hauts fonctionnaires de l’Etat ou d’opérateurs privés. Le rétablissement de la crédibilité de l’Etat et de la valeur de sa signature dans ce secteur est à ce prix.

Eléments sur la (mauvaise) gouvernance de l’énergie en Tunisie

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