La violence et le chaos dans lesquels se retrouve une grande partie du monde arabe aujourd’hui sont nés, selon Gilles Kepel, d’une rencontre entre l’islam politique et la vente pétrolière au milieu des années 70, ce qui a abouti au financement de l’islam radical.
Par Fawz Ben Ali
À l’occasion de la sortie de son dernier livre ‘‘Sortir du chaos’’ paru fin 2018 aux éditions Gallimard, le politologue orientaliste français Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, était présent mardi soir, 19 février au siège de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), ) la cité El-Khadra, à Tunis.
Un large public a répondu présent à la grande conférence animée par l’économiste Hakim Ben Hammouda et organisée par l’Institut français de Tunisie (IFT), avec la participation de la librairie Al-Kitab.
Les origines du chaos
‘‘Sortir du chaos : Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient’’ a été d’abord présenté par Hakim Ben Hammouda comme un ouvrage d’une grande importance, un peu comme «un testament», dit-il, qui viendrait clôturer une longue carrière de recherche menée depuis 40 ans sur le monde arabo-musulman.
L’ancien ministre de l’Economie et des Finances a expliqué que le livre suscite l’intérêt pour deux principales raisons : d’abord pour son auteur qui n’est pas un politologue classique, car au-delà de ses qualités de chercheur, c’est aussi un véritable connaisseur du terrain et qui maîtrise parfaitement la langue arabe.
Le livre est évidemment aussi intéressant par son contenu qui revient en détails sur l’histoire du monde arabe et particulièrement de l’islam politique sur les 4 dernières décennies, tout en donnant des repères et une chronologie raisonnée dans l’analyse de ses dynamiques.
«J’ai peu fréquenté la Tunisie à l’époque de Ben Ali, mais depuis la révolution du 14 janvier 2011, je suis venu énormément de fois, et j’ai développé une relation particulière avec ce pays où j’ai beaucoup appris», dit Gilles Kepel au début de son allocution.
Ce livre de 500 pages est une fine description de la violence et du chaos dans lesquelles se retrouve une grande partie du monde arabe aujourd’hui. Gilles Kepel explique que cette réalité est née d’une rencontre entre l’islam politique et la vente pétrolière au milieu des années 70, ce qui a abouti au financement de l’islam radical.
40 ans d’observation
Entre la guerre du Kippour en 1973, le conflit sunnite-chiite entre l’Arabie-Saoudite et l’Iran pour contrôler l’islam politique, la montée en puissance du prix du pétrole et l’alliance salafo-américaine (entre les Etats-Unis et les monarchies pétrolières), la vision wahhabite a gagné du terrain et s’est placée dans un cycle d’endoctrinement qui a abouti plus tard à Daech. Gilles Kepel rejoint ainsi le journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud en évoquant sa célèbre chronique ‘‘L’Arabie-Saoudite est un Daech qui a réussi’’.
Le livre est une brillante synthèse des précédents ouvrages de Gilles Kepel qu’il a conçu comme un bilan de 40 ans d’observation; c’est un livre où on remonte à la naissance de l’islam radical et à son essor qui mènera au terrorisme au nom de Dieu, et qui a réussi à secouer aujourd’hui le monde entier. Le politologue français voit dans la compréhension du passé une nécessité pour mieux aborder le présent et l’avenir, et pour «sortir du chaos».
Ce dernier livre de Gille Kepel, déjà grand succès en France, est un essai analytique étoffé et légitimé de nombreux témoignages, enquêtes, archives et détails chronologiques autour des dates et événements clés depuis 1973 jusqu’à ce jour, en passant par les révolutions du Printemps arabe entre l’euphorie des premiers instants et le chaos post-révolutionnaire semé par la montée en puissance de l’islamisme. «L’effondrement des régimes autoritaires a permis à ces groupes djihadistes de s’infiltrer, de se substituer aux régimes qui se sont effondrés», explique-il.
La fin d’un cycle
18 ans après la sortie de son livre ‘‘Jihad, expansion et déclin de l’Islamisme’’ (2000), Gilles Kepel actualise sa pensée dans ce nouvel ouvrage et aborde de nouveau le djihadisme avec ses différentes générations, ses racines et ses cibles qui ont dû changer au fil du temps «pour passer de l’ennemi proche vers l’ennemi lointain, à savoir les Etats-Unis puis l’Europe», un terrorisme qui s’est toujours appuyé sur l’effet spectaculaire de l’ère de la télévision (notamment avec l’attentat du 11 septembre 2001) en arrivant à l’ère des réseaux sociaux.
Malgré ce constat désastreux, Gilles Kepel estime que la situation est en train de changer d’abord en Arabie-Saoudite (pays où il a été interdit de séjour pendant 7 ans), où la jeunesse saoudienne est assoiffée de liberté et rejette le Wahhabisme. D’un autre côté, il y a la chute de la capitale syrienne de l’Etat islamique Raqqa en 2017 qui a considérablement affaibli la coordination et l’action au sein de l’organisation daechienne. «C’est la fin d’un cycle», estime Gille Kepel.
‘‘Sortir du chaos’’ : Gilles Kepel présente son dernier livre à Tunis
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