L’interdiction par la justice de la diffusion d’émissions télévisées sur le décès des 15 bébés à la maternité de la Rabta provoque l’indignation dans un pays qui a arraché la liberté d’expression après la révolution de 2011. Journalistes et citoyens y voient une grave atteinte…
Contre toute attente, le juge d’instruction du 10e bureau près du tribunal de 1ère instance de Tunis a pris hier, jeudi 14 mars 2019, une décision interdisant la diffusion de l’émission de Hamza Belloumi, « Les 4 vérités » sur la chaîne El-Hiwar Ettounsi, consacré au drame du décès de 15 nouveaux-nés à la maternité Wassila Bourguiba de l’hôpital la Rabta de Tunis. Il a également décidé d’interdire la rediffusion du programme « 50-50« , présenté par Moez Ben Gharbia, la veille, sur chaîne privée Carthage+ et qui a traité le même sujet.
Si la justice justifie sa décision par la crainte que le traitement médiatique de l’affaire puisse entraver l’instruction en cours, les organisations et la société civile tirent la sonnette d’alarme, voyant dans cette décision une atteinte à la liberté des médias, qui est quasiment l’unique acquis de la révolution tunisienne.
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) s’est dit « choqué » par une pareille décision, en ajoutant que les autorités cherchent à empêcher le débat sur une affaire qui a profondément choqué l’opinion publique et, probablement, à cacher des vérités. Avec le retour à de telles pratiques, le SNJT craint le retour de la tyrannie, qui commence par l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif.
De son côté, la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) considère que c’est une décision dangereuse, représentant une sérieuse menace la liberté d’expression et qui plus est contraire aux dispositions de l’article 31 de la Constitution stipulant que «la liberté d’opinion, d’expression, d’information et de diffusion est garantie et qu’elle ne peut être soumise à aucun contrôle préalable».
La Haica ajoute qu’une telle décision empiète sur ses prérogatives, étant la seule instance habilitée à exercer un contrôle sur le paysage audiovisuel.
Plusieurs partis politiques ont également dénoncé cette interdiction et se sont joints aux organisations pour pointer du doigt le gouvernement, qui nie, cependant, tout lien avec une pareille décision, en rappelant que la justice est indépendante.
Le porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani, a précisé, dans une intervention ce matin à Shems FM, que la décision dans ce domaine ne revient pas au gouvernement et que, si elle lui revenait, n’aurait jamais interdit aux médias de diffuser l’enquête susceptible d’éclairer l’opinion publique.
On notera que l’opinion publique doute déjà que l’on cherche à cacher la vérité: d’abord il n’y a pas eu de communication officielle sur cette affaire, avant que les médias (Kapitalis en l’occurrence qui a révélé l’affaire) n’en parlent, vendredi dernier; puis les parents n’ont pas été informés d’une probable erreur médicale lorsqu’ils ont été informés du décès de leurs enfants.
Exemple de l’ambiguïté entretenue à propos de cette affaire : le collectif de défense parle de 17 bébés décédés, la justice de 15, alors que la commission d’enquête du ministère de la Santé n’a évoqué que 12…
Y. N.
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