Une rencontre inédite sous forme d’un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée a eu lieu vendredi soir, 19 avril 2019, à l’Institut français de Tunisie (IFT), au centre-ville de Tunis, autour du processus de dépénalisation de l’homosexualité.
Par Fawz Ben Ali
S’inscrivant dans le cadre de la 2e édition du festival «Couleurs d’avril», une semaine organisée par l’IFT consacrée à accompagner le combat pour les libertés sexuelles, la rencontre s’est tenue en présence d’invités français et tunisiens, militants de la cause LGBTQI.
Ce dialogue modéré par Wahid Ferchichi (professeur de droit et chercheur en matière de libertés individuelles) et inauguré par la directrice de l’IFT Sophie Renaud et l’ambassadeur français Olivier Poivre d’Arvor, a été l’occasion de rappeler la proximité géographique et culturelle entre la France et la Tunisie, mais aussi le combat commun qui les réunit dans la défense des valeurs humanistes.
Un combat pour les valeurs
«Dans une jeune démocratie et un grand pays comme la Tunisie, il est intolérable que les droits des minorités ne soient pas respectés (…) C’est un combat pour les valeurs que vous menez et que nous soutenons», a souligné Olivier Poivre d’Arvor, rappelant que la France plaide cette cause aussi souvent qu’elle le peut, notamment dans le cadre politique.
La 2e édition de «Couleurs d’avril» s’est voulue plus pointue que l’édition précédente, afin d’aller droit au but à travers des témoignages, des expériences et des projets concrets, alimentant le combat pour la dépénalisation de l’homosexualité.
Ce fut l’occasion notamment de revenir sur le parcours de l’Inde, qui, après une bataille législative qui avait duré une vingtaine d’années, vient de dépénaliser l’homosexualité (septembre 2018), malgré la résistance religieuse.
Mais tout processus a ses propres spécificités, dépendant entre autres, du degré d’engagement des acteurs politiques et non politiques. «Il n’y a pas de recette type», a-t-on souligné lors de la conférence. C’est d’ailleurs dans ce sens, que Christophe Girard (adjoint à la mairie de Paris en charge de la culture et célèbre défenseur de l’homoparentalité) a expliqué que les choses ne s’étaient pas passées aussi simplement que l’on pourrait le croire en France. «N’allez pas croire que ça a été un chemin de roses, ça a été un long combat, et aujourd’hui, il y a encore de nombreuses agressions homophobes !», a-t-il rappelé, ajoutant que la Tunisie a jusque-là réalisé des acquis considérables et que ce combat y sera incontestablement gagné aussi, «probablement plus vite que vous ne l’imaginez !», a-t-il précisé.
Pour les Etats-Unis cela n’a pas été facile non plus, explique Mohamed Amine Jelassi (dont la thèse de doctorat en droit porte sur les minorités en Tunisie) qui est revenu sur les événements et dates clés du combat des personnes LGBTQI aux Etats-Unis, comme les émeutes de Stonewall en 1969, moment symbolique marquant l’éclosion du militantisme LGBT dans le monde. Les Etats-Unis qui avaient pratiqué la castration chimique sur les homosexuels, il y a moins de 50 ans, ont aujourd’hui légalisé le mariage entre personnes du même sexe dans l’ensemble de ses Etats (depuis juin 2015).
De sa part, Antoine Idier (sociologue et historien français), invité pour parler notamment de son dernier ouvrage «Archives des mouvements LGBT+», paru en 2018, a souligné que le processus de dépénalisation dépend du pays et de l’époque et que le droit est souvent en retard par rapport aux revendications. «En France ça avait commencé vers la fin des années 70, début années 80, à l’approche de l’élection de François Mitterrand», a-t-il rappelé.
Aux origines de l’article 230 du code pénal
Un autre livre est paru tout récemment signé Ramy Khouili (médecin et militant des droits de l’Homme), intitulé ‘‘Article 230 : Une histoire de la criminalisation de l’homosexualité en Tunisie’’ (coécrit avec Daniel Levine-Spound). Le livre est une enquête historique sur les origines de l’article 230 du code pénal tunisien, datant de 1913 (sous le protectorat français), un travail de recherche passionnant qui servira de support dans le plaidoyer national en faveur des personnes LGBTQI.
Une sorte de silence permissif régnait avant qu’on commence à s’appuyer sur certaines lectures de textes islamiques dans l’écriture de l’article 230, en 1913. «La première apparition de l’article sur la sodomie en Tunisie apparait sous la forme d’une note manuscrite en marge de la section ‘’Attentats aux mœurs’’ de l’avant-projet. À l’instar du code pénal tunisien de 1861 promulgué deux décennies avant le protectorat français, aucun des 431 articles imprimés ne contient une seule mention des mots ‘’sodomie’’ ou ‘’homosexualité’’», P.24 de l’ouvrage.
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