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Retour sur le phénomène Abir Moussi : Feu de paille ou lame de fond ?

Le cas Abir Moussi est politiquement, intéressant et instructif. Au-delà des coups de griffe à la personne, il faut la prendre au sérieux, et prendre encore plus au sérieux les simples citoyens qui reçoivent son discours.

Par Mehdi Jendoubi *


Abir Moussi, présidente du Parti destourien démocratique (PDL) est brave et courageuse. Se relevant d’une dure épreuve personnelle, elle obtient un relatif succès, et porte un discours politique qui commence à être audible par une partie des tunisiens.

Cela constitue une donne politique qui mérite attention et débat. Il est évident que le noyau dur de ses partisans est constitué par une partie des anciens militants de l’ancien parti au pouvoir sous le régime de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), nostalgiques et/ou aigris et frustrés par l’échec de ce régime, mais aussi maltraités par les nouveaux maîtres de la Tunisie, qui parfois reproduisent l’exclusion dont ils étaient eux-mêmes victimes.

Mais les militants ne constituent qu’une infime partie de l’opinion publique réelle, et ce qui doit inquiéter les défenseurs de la démocratie actuelle en Tunisie, c’est cette proportion de citoyens, même réduite, qui est devenue réceptive au discours de Mme Moussi.

Le traitement sécuritaire de l’islamisme a échoué

Sommes-nous en présence d’une vague qui s’amplifiera comme dans le cas brésilien où un partisan de la dictature est arrivé au pouvoir démocratiquement, sûrement pas pour les élections de cette année 2019 mais pour plus tard? Chacun, aussi bien dans le pouvoir que dans l’opposition, y compris les élites, doit se poser sincèrement la question suivante : quelles sont les erreurs majeures commises depuis 8 ans qui favorisent ce discours nostalgique ?

Comme le mentionne bien Abdelmajid Msalmi dans un article publié récemment pas Kapitalis, ‘‘Abir moussi, une incarnation du benalisme’’, la proposition de Mme Moussi d’interdire les partis religieux et donc Ennahdha, est un slogan miné de contradictions et d’aberrations historiques.

Le traitement sécuritaire de l’islamisme a commencé en Tunisie à la fin des années 70 et s’est amplifié durant la décennie 1990, pour nous retrouver après la révolution, et à la première épreuve électorale, avec un parti auréolé par le sacrifice et aguerri par les épreuves de la vie. Faut-il fatalement refaire les mêmes erreurs historiques ?

Mme Moussi se défend de vouloir mettre les islamistes en prison, mais elle affirme vouloir interdire leur parti. Aurait-elle la naïveté de penser que ceux qui ont résisté 30 ans durant resteront les bras croisés? Quelles perspectives de troubles nous-promet-elle en fait ?

Accepter la diversité politique des Tunisiens

Mme Moussi se proclame du bourguibisme pour donner une légitimité à sa proposition. Certes, Bourguiba a combattu les islamistes, mais aussi d’autres tendances politiques de gauche, faudrait-il les interdire aussi ? Et puis, elle ne doit jamais oublier que le bourguibisme, c’est surtout, l’école et la promotion de la culture, la santé, les logements sociaux, la politique des étapes, l’unité nationale, la construction de l’Etat, la modernité, etc. Et comme avec tout héritage politique, il y a l’esprit et la lettre et évidemment le contexte historique changeant.

Bourguiba a construit son action et sa pensée politique sur plusieurs idées forces : l’une d’entre elles est centrale dans sa pensée : l’unité nationale. Bien compris, ce concept nous amène aujourd’hui à accepter, même à contrecœur, la diversité politique des Tunisiens.

Une fois qu’on aura interdit un parti, que faire de ses adhérents et de ses sympathisants et des simples citoyens qui votent pour ce parti, faut-il aussi les exclure de la communauté nationale ? Peut-on aimer la Tunisie, sans aimer les Tunisiens, même ceux qui votent contre nous ?

Le succès de Abir Moussi lui donne une responsabilité accrue et un leader, même quand il a le vent en poupe, peut réviser certaines de ses affirmations et rectifier le tir quand les intérêts majeurs de la nation l’exigent. Mais nous avons connu aussi des généraux vaillants qui mènent leur troupe à l’impasse.

Feu de paille ou lame de fond, le cas Moussi est politiquement, intéressant et instructif. Au-delà des coups de griffe à la personne, il faut la prendre au sérieux, et prendre encore plus au sérieux les simples citoyens qui reçoivent son discours.

*Universitaire.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

http://kapitalis.com/tunisie/2018/05/24/tunisie-changement-de-gouvernement-et-calendrier-politique/

http://kapitalis.com/tunisie/2018/03/31/tunisie-dirigeants-bien-elus-et-mal-recus/

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