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Une thanatocratie est-elle viable? Cas de la Tunisie postrévolutionnaire

La démocratie promise au lendemain de la révolution du 14 janvier 2010 est en passe de se transformer en thanatocratie, un régime inexistant ailleurs et qui risque de faire florès en Tunisie.

Par Assâad Jomâa *


Thanatocratie(1), dites-vous ? Qu’est-ce encore que cet inédit barbarisme?
Et vous aurez bien raison de qualifier ce terme de la sorte. En fait, vous aurez beau consulter le célébrissime ‘‘Droit constitutionnel et institutions politiques’’ de Jacques Chevallier ou encore ou l’illustre ‘‘Histoire des idées politiques’’ publié par Dalloz, vous ne trouverez nulle trace, parmi les régimes politiques recensés par les historiens des idées, de cette forme de gouvernement. Loin d’être inscrit dans une éventuelle constitution, cet inconnu mode de gouvernement, celui de la mort, appartient en propre à la Tunisie postrévolutionnaire et devrait à ce titre être déclaré propriété intellectuelle du génie tunisien, en escomptant son universalisation.

De quoi parlons-nous au juste ? D’un mode de gouvernement dont la légitime filiation est apparentée aux branches majeures de l’arbre généalogique de la bonne gouvernance.

Plus efficace que la «politique de dénatalité» initiée par Bourguiba

Sous ces savantissimes concepts des politologues se cache un principe bien plus simple, celui non pas de la sélection naturelle, mais du surhomme heureusement programmé pour survivre à toutes les calamités et autre catastrophes de tous ordres, aussi bien naturelles que surnaturelles. Si bien qu’au bout du parcours ne subsisteront que les élus d’une caste se comptant sur le bout des doigts d’une seule main. Une sorte de remake de la fameuse «politique de dénatalité» initié par le Combattant suprême, Habib Bourguiba, voici près d’un demi-siècle. Mais en plus sélective et, surtout, à champ d’application, pluridisciplinaire.

À cette fin, plusieurs scénarios ont été élaborés par nos fins stratèges…

1 – Le moyen d’éradication du surplus humain le plus efficace, au demeurant vieux comme le monde, est celui des guerres. Les plus démunis d’une jeunesse, hommes et femmes confondus, aux plans socio-économiques, seront appâtés par les gains pécuniaires provenant d’un salutaire «djihad» sous toutes ses formes : armé, sexuel, d’intendance… Et tout ce beau monde sera embrigadé à destination des fours crématoires du «djihad islamique». Aux dernières nouvelles, ils seraient quelques milliers à être sélectionnés pour cette mort savamment programmée par l’Etat postrévolutionnaire et ses divers surgeons.

Bon nombre de cette chair à canon seront liquidés sur place en quelques sentiers montagneux, aussi escarpés que sauvages. Il importe peu, au reste, que les exécutés de l’Etat soient du bon ou bien du mauvais côté de la scène, ils ne serviront leur pays qu’une fois morts.

2 – Autre moyen, non moins radical, de dégrossissement de la population à charge de l’Etat, celui de l’alimentation de la faune marine méditerranéenne en chair humaine, via l’émigration clandestine. Là encore les victimes du devoir national se comptent par milliers.

3 – Certaines statistiques, non publiées, place les diverses formes de suicides individuel et collectif, en troisième position des réussites de la politique thanatocratique. Aux dernières nouvelles les «suicidés» se compteraient en centaines tous les ans, et, cerise sur le gâteau : les moyennes d’âge graviteraient autour de la vingtaine. Autant de dégrèvements sur les lourdes charges de l’Etat. Plus les décès sont précoces, plus le mode de gouvernement thanatocratique se révèlera performant.

4 – Les déchets du système sanitaire se positionnent ces dernières années en très respectable position. Autant de résultats très encourageants pour l’Etat thanatocratique auprès de la cible privilégiée, celle de la néonatalogie.

Là aussi, grâce aux efforts conjugués de l’ensemble des intervenants dans le secteur sanitaire en Tunisie, boostés, il est vrai, par certaines organisations nationales au glorieux passé en l’occurrence. Si bien que les résultats escomptés ne plus sont plus, désormais, à deux mais bien à trois chiffres annuellement.

5 – Déjà fort heureusement classés en pole-position parmi les pays dont les accidents de la route générant le plus de décès, la tendance des statistiques, en la matière, est en constante hausse. Là-aussi les résultats enregistrés s’élèvent à quelques dizaines de milliers. Le secteur agricole, jadis non performant à cet égard, devient l’un des principaux pourvoyeurs de chair humaine, notamment en période de campagnes de cueillettes des fruits et légumes.

Les performances de l’Etat thanatocratique tunisien

Cependant, les résultats positifs enregistrés par l’Etat thanatocratique tunisien postrévolutionnaire sont le plus souvent imperceptibles, parce que se produisant sur les moyen et long termes.

Les «douloureuses réformes» socio-économiques entreprises par les divers gouvernements postrévolutionnaires, et en particulier par le dernier, ne produisant leurs effets qu’à feux doux, les premiers résultats escomptés ne seront palpables que de manière différée. Il en est ainsi des réformes engagées en matière de sécurité sociale, de régime de retraite, de politique médicamenteuse, de celle des prix, du logement, du pouvoir d’achat, de fiscalisation, d’emploi, de services, de qualité de la vie, d’espoir d’aimer et être aimé(2)…

Toutes choses devant, à terme, concourir d’une manière ou une autre à améliorer les indicateurs thanatocratiques.

Au fait, n’aviez pas-vous pas déjà remarqué que, depuis 2010, toute les recensions démographique attestent une baisse de la population tunisienne?… Et vous, vieux grincheux, qui ne sachiez inventorier que le manque de réussite de l’Etat, malheureusement inévitables dans certains secteurs, ne dépendant pas, de surcroît, totalement des pouvoirs publics (l’un des principaux axes politiques de l’Etat thanatocratique étant, en toute logique, le désengagement de l’Etat de la vie des citoyens), mais bien de certains huberlulus qui s’accrochent pitoyablement, et non moins vainement, à leur misérable vie.

Trêves de jérémiades, et dites-moi si vous vous êtes déjà inscrits pour les prochaines élections ? Je vous pose la question parce qu’au train où vont les réussites de l’Etat thanatocratique, les candidats à ces élections seront plus nombreux que les électeurs…

Partez pas ! je vous réservais le meilleur pour la fin… À propos d’élections, les deux cheikhs (le président de la république Béji Caïd Essebsi et le président du parti islamiste Ennahdha Rached Ghannouchi, Ndlr) ont unanimement convenu qu’elles seront reportées aux calendes grecques… Qu’on se le dise ! Et vive Thanatos(3)!

* Universitaire.

Notes :
1- Thanatocratie, relativement à Thanatos : Dieu de la mort dans la mythologie grecque.
2- Allusion à Eros : Dieu de l’amour/de la vie dans la mythologie grecque.
3- N’y voyez surtout aucune allusion à l’antinome Tahya Tounès, celui-ci étant, vraisemblablement, un mort-né.

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