Ahmed Néjib Chebbi, l’une de personnalités ayant marqué la vie politique tunisienne au cours du dernier demi-siècle, n’a pas pu recueillir le nombre requis de soutiens d’élus et/ou de citoyens pour présenter sa candidature à la présidentielle de 2019. Le fait n’est pas anodin et mérite qu’on s’y attarde…
Par Ridha Kéfi
Leader historique de la gauche tunisienne, Néjib Chebbi a été de tous les combats pour le pluralisme, les libertés et les droits en Tunisie depuis sa première arrestation en 1966, à 22 ans, et sa condamnation par la Cour de sûreté de l’État, en 1970, à 11 ans de prison, avant d’être gracié, en mars de la même année, et placé en résidence surveillée.
Nationaliste arabe à ses débuts, Néjib Chebbi rompra avec le mouvement Baath auquel il avait adhéré à ses débuts et adhérera au mouvement Perspectives-L’Ouvrier tunisien, une organisation clandestine d’extrême gauche. Exilé en Algérie puis en France entre 1971 et 1977, année qui marquera son retour définitif en Tunisie, il obtient, en 1984, une licence en droit et un certificat d’aptitude à la profession d’avocat de la faculté de droit de Tunis. Et devient avocat, comme son père, Abdelaziz.
Une grande ambition desservie par un parcours erratique
Depuis, Me Chebbi ne cessera d’évoluer sur le plan politique vers des positions plus centristes, socio-démocrates puis socio-libérales, et fondera plusieurs formations : le Rassemblement socialiste progressiste (RSP), le Parti démocrate progressiste (PDP), sous le règne de Bourguiba et Ben Ali, puis, après a révolution de janvier 2011, Al-Joumhouri, en 2012 , et le Mouvement démocrate, en 2017.
Me Chebbi, qui s’est toujours vu en haut de l’affiche, se présentera plusieurs fois à l’élection présidentielle, mais s’il est empêché, sous Ben Ali, de concourir, après la chute de ce dernier, il ne réalise pas les scores requis pour occuper le Palais de Carthage.
Ministre du Développement local et régional pour une très courte durée (17 janvier – 7 mars 2011), puis membre de l’Assemblée nationale constituante (ANC) pendant 3 ans (22 novembre 2011 – 2 décembre 2014), son parcours sera erratique, fait de coalitions ambitieuses suivies de ruptures fracassantes. Rien de vraiment consistant et durable…
Une interminable traversée du désert
Avec les changements profonds survenus sur la scène politique nationale, après 2011, ce leader à l’ancienne n’a pas réussi à changer de logiciel : il est certes respecté et apprécié pour la justesse de ses vues, sa pondération politique et ses qualités humaines, mais il n’arrive pas à s’imposer comme un meneur d’hommes et, encore moins, comme un possible candidat à la magistrature suprême. Des hommes, qui furent ses lieutenants, se frayeront un chemin et occuperont des postes importants, mais pas lui. Cette interminable traversée du désert a quelque chose de pathétique mais elle n’est pas surprenante. Et pour cause…
Néjib Chebbi, qui était la personnalité la plus en vue au lendemain de la chute de Ben Ali, aurait pu accéder au Palais de Carthage, si des élections présidentielles anticipées avaient eu lieu au début de l’été 2011, comme cela avait été envisagé un moment, mais l’abandon de ce rendez-vous et son remplacement par l’élection de l’ANC, en octobre de la même année, lui ont barré la route. Depuis, ses cartes ont été brouillées et il n’a pu vraiment se replacer au centre de la scène, éclipsé par la notoriété montante de Béji Caïd Essebsi, puis d’autres personnalités, sans passé politique mais disposant d’énormes moyens financiers ou du soutien de certains lobbys influents.
Marginalisé au sein même de sa famille politique, cédant la direction d’Al-Joumhouri à son frère Issam, perdant son bras droit et alter ego, Maya Jeribi, Me Chebbi semble avoir été gagné par la lassitude de l’âge. À 75 ans, ses apparitions médiatiques, très intermittentes, ne lui permettent pas de marquer les esprits de ses concitoyens, de raviver la passion et de se remettre en selle. La suite, on la connaît…
Le dernier rendez-vous manqué
Après une longue éclipse, Néjib Chebbi est réapparu il y a deux semaines pour annoncer sa volonté de postuler, une nouvelle fois, à la présidence de la république, porté par une coalition électorale constituée pour la circonstance, mais l’affaire a de nouveau fait pschitt.
S’étant pris avec un retard certain, M. Chebbi n’a pas pu constituer un dossier de candidature digne de ce nom. Il n’a pu non plus développer une dynamique autour de sa personne. C’est bien dommage, mais qui faut-il blâmer ? Le destin sans doute, qui est d’un apport important pour celui ou celle qui sait le provoquer ou le mettre de son côté. Mais pas que… La dilettante de l’éternel candidat recalé y est, sans doute, aussi, pour beaucoup…
Quand on voit le profil de certains candidats à la présidentielle du 15 septembre 2019, inodores, incolores et sans saveur, on ne peut s’empêcher de penser que Me Chebbi aurait bien pu faire un très bon président pour la Tunisie.
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