Abdelkarim Zbidi, ministre de la Défense en poste, a utilisé l’armée dans sa campagne électorale pour la présidentielle du 15 septembre 2019 à au moins deux reprises. Maladresse ? Inconscience ? Mauvaise communication ? A moins qu’il s’agisse d’un dérapage contrôlé dans le cadre d’une stratégie électorale, ce qui est autrement plus grave.
Par Ridha Kefi
La première bourde, on en a parlé en son temps : M. Zbidi a raconté, à la chaîne El-Hiwar Ettounsi, qui plus est avec fierté et en fanfaronnant, avoir pensé, le 28 juillet dernier, au lendemain de l’hospitalisation du défunt président Béji Caïd Essebsi, positionner deux blindés devant à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et déployer l’armée dans les endroits les plus névralgiques du pays, pour, a-t-il expliqué, avec une rare naïveté, faire capoter un soi-disant coup d’Etat en préparation sous la coupole du Palais du Bardo.
Coup d’Etat ? Y avait-il des gens armés dans l’enceinte du parlement ? Non, bien sûr, il s’agit, en réalité, d’une demande, exprimée le plus légitimement du monde par quelques députés, craignant à juste titre la vacance du pouvoir, d’avoir des informations précises sur l’état de santé du chef de l’Etat, dont la rumeur du décès avait alors fait tache d’huile, jusque dans les médias étrangers.
Une bourde, dites-vous ?
La bourde a alimenté la polémique pendant quelque temps et on a fini par la ranger, un peu rapidement il est vrai, au chapitre des erreurs de communication d’un candidat peu familiarisé avec les médias et qui est souvent mal à l’aise dès qu’il s’agit de lever le nez d’un texte écrit par des tâcherons de service pour répondre directement aux questions des journalistes.
Sauf que, et c’est là où le bât blesse, M. Zbidi a récidivé avant-hier, samedi 7 septembre, lors d’un meeting électoral à Monastir, lorsque le grand écran disposé à l’arrière-fond de la tribune, derrière le candidat lisant son discours, a montré des généraux en exercice de l’armée tunisienne.
M. Zbidi est certes le ministre de la Défense en poste, mais il est censé être en congé pour se consacrer à sa campagne électorale. Et toute évocation de l’armée nationale, qui plus est, dans un matériau de publicité politique, comme c’est le cas ici, est censée lui être interdite, d’abord par l’armée nationale elle-même, qui, on le sait, répugne à être impliquée dans les querelles politiques et s’attache à sa position de neutralité totale vis-à-vis des partis et des candidats aux hauts postes de l’Etat; et ensuite par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui interdit ce genre d’instrumentalisation politique des symboles de l’Etat et ne peut, par conséquent, fermer les yeux sur le dérapage de M. Zbidi.
Des putschistes dans la course à Carthage ?
S’agit-il, cette fois aussi, d’une erreur de communication, et dans ce cas, imputable à la boîte de Com’ engagée par l’équipe de campagne du candidat ? Là aussi, l’excuse, vite trouvée, est trop facile pour être crédible. Aussi est-on en droit de nous demander si cette insistance de M. Zbidi à lier sa candidature à la présidentielle à sa responsabilité à la tête du ministère de la Défense, et par ricochet, de l’armée nationale, n’est-elle pas une stratégie de séduction destinée à une partie de l’électorat, à savoir les nostalgiques de l’ancien régime, dont M. Zbidi est issu, et qui rêvent à voix haute d’un putsch militaire à l’Egyptienne et voient en M. Zbidi, un civil proche de l’armée, une sorte d’Abdelfattah Sissi potentiel.
Cette analyse n’est pas aussi farfelue que certains pourraient le penser, surtout quand on sait que le général Rachid Ammar, ancien chef d’état major des armées, est l’un des mentors du candidat, et que l’on connaît la camarilla entourant M. Zbidi et portant sa candidature à bout de bras : les Kamel Eltaief, qui s’est toujours vanté d’être l’un des instigateurs du coup d’Etat médico-légal de Ben Ali contre Bourguiba, le 7 janvier 1987, Noureddine Ben Ticha et autres Hafedh Caïd Essebsi, du beau linge en somme, la crème de la crème des manœuvriers dont les mauvais coups ont déjà fait beaucoup de mal à la Tunisie et aux Tunisiens.
Non M. Zbidi, quand on est candidat au poste de magistrat suprême, il y a des lignes rouges à ne pas outrepasser et des jeux dangereux à éviter.
Donnez votre avis