«L’actuelle phase post-électorale offre une réelle fenêtre d’opportunité pour réformer le paysage médiatique en Tunisie », écrit Kamel Labidi, ancien directeur d’Amnesty International en Tunisie et ancien président de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), dans une tribune publiée, aujourd’hui, par Open Democracy. Nous traduisons ci-dessous quelques passages de cette réflexion du journaliste tunisien…
Synthèse de Marwan Chahla
«Rares étaient les personnes hors de la Tunisie qui avaient prévu qu’un enseignant en droit constitutionnel au profil bas pouvait remporter la présidentielle tunisienne anticipée d’octobre dernier avec une majorité écrasante», écrit Kamel Labidi, dans son introduction, pour vite en déduire que «cette victoire de Kaïs Saïed sur son rival, le magnat controversé des médias Nabil Karoui, administre la preuve irréfutable de cette forte détermination qui anime les électeurs tunisiens à mettre en œuvre d’importantes réformes dans la gouvernance du pays.»
A la recherche d’un nouveau type de leadership
Le désenchantement des Tunisiens à l’égard de ce qu’ils ont connu de la révolution et de la classe politique –toutes tendances confondues– qui a eu la charge de diriger les affaires, au lendemain de la chute de l’ancien régime, a poussé les Tunisiens à cette recherche d’un nouveau type de leadership: «Désormais, ils [les Tunisiens, ndlr] souhaitent voir une approche gouvernementale globale qui prenne à bras le corps les inégalités sociales et économiques auxquelles le pays est confronté, tout préservant la liberté d’expression et l’indépendance des médias», poursuit Labidi, pour qui «l’écrasante victoire de Saïed est tellement significative et (…) devrait être placée dans ce contexte de ras-le-bol général.»
Kamel Labidi attribue principalement le succès de Saïed à la dernière présidentielle au fait que le candidat indépendant jouissait d’une «réputation positive auprès des jeunes Tunisiens sans emploi (…) qu’il a su garder ses distances avec l’establishment et qu’il a exprimé ouvertement sa volonté ferme de combattre la corruption et de s’attaquer aux problèmes sociaux et économiques. C’est ce qui lui a valu un soutien populaire aussi large [près de 73% des voix exprimées au second tour, ndlr].»
L’analyste fait également observer que Kaïs Saïed devait beaucoup sa réussite dans la compétition présidentielle au rôle important que les médias sociaux avaient joué dans ce scrutin: «un puissant réseau de jeunes activistes ont pris d’assaut Twitter et Facebook pour relayer le discours de Saïed et donner de la voix à ses prises de position», écrit-t-il.
Spéculant sur ce qu’une victoire de Nabil Karoui aurait impliqué, Kamel Labidi ne mâche pas ses mots : «Ceci aurait immanquablement donné lieu à un retour aux pratiques de l’ancien régime, notamment au népotisme, au manque de respect pour la liberté de la presse et pour l’indépendance des médias.»
L’association Karoui-Ghannouchi, un danger pour la démocratie
Sans hésitation aucune, le journaliste fait vite d’associer Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, et Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha et nouveau président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP): Labidi rappelle que «les deux hommes se sont farouchement opposés, en 2012, à l’application des recommandations issues par l’Inric. Tous deux ont également retardé l’établissement de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). »
Kamel Labidi avertit: «Ennahdha de Ghannouchi et Qalb Tounes de Karoui –avec leurs 54 et 38 sièges à l’ARP, respectivement– représentent, aux yeux des groupes de défense des droits humains, une des plus graves menaces de l’avancée vers l’Etat de droit et les garanties des libertés en Tunisie.»
Respectant l’ordre des choses et les priorités nécessaires de l’étape actuelle en Tunisie, Kamel Labidi reconnait que «l’urgence s’impose à la prochaine équipe gouvernementale de s’attaquer au chômage et à la corruption, et de sauver l’éducation et la santé publiques du danger de leur écroulement total » Il défend aussi «l’obligation de poursuivre le processus de la transition démocratique, entamé en 2011, par le biais de réformes plus approfondies de l’espace médiatique tunisien, qui ne pourra progresser qu’avec une stratégie globale, qui a été déjà énoncée et à plusieurs reprises répétées par divers groupes de défenseurs des droits de l’Homme, avec l’appui de nombre d’organisations internationales.»
En conclusion de sa tribune, Kamel Labidi conseille: « Etant donné la relative ouverture de l’administration entrante, une des principales priorités devrait être que Saïed et son gouvernement prennent des engagements concrets qu’ils veilleront à la mise en œuvre du rôle de la nouvelle instance régulatrice de l’espace audiovisuel tunisien, tel qu’il est stipulé dans la Constitution de 2014, et qu’ils protégeront l’indépendance de celle-ci. Nous souhaitons obtenir plus d’indépendance pour les médias publics et plus de protections légales pour le journalisme indépendant.»
Une dernière flèche de Kamel Labidi: «Nous exigeons que les diffuseurs privés contrevenant à la déontologie et aux normes de la profession journalistique rendent des comptes de leurs infractions et irresponsabilité.»
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