Hier soir, vendredi 10 janvier 2020, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), une page de l’histoire tunisienne a été tournée, celle d’un parti islamiste omnipotent manœuvrant la scène politique nationale à sa guise. Mais il ne faut pas crier victoire trop vite. Car d’autres batailles sont en vue et rien n’est encore vraiment joué. Il va falloir, en effet, transformer l’essai et inscrire cette «petite révolution» dans la durée.
Par Ridha Kefi
Hier soir, donc, lors de la plénière consacrée au vote de confiance au gouvernement composé par Habib Jemli, désigné par Ennahdha, les Tunisiens ont assisté à la fin annoncée du mythe de l’invincibilité du parti islamiste et de la légende de son unité indéfectible face à la désunion chronique des autres familles politiques.
Un retentissant «No pasarán!»
Hier, ces dernières, toutes tendances confondues, ont, dans un sursaut de dignité retrouvée, enterré leurs querelles de clochers et voté comme un seul homme contre un gouvernement composé de bric et de broc, mais portant le sceau de l’allégeance au parti islamiste. Ce dernier, qui a surestimé sa capacité de passer en force en misant sur les divisions de ses adversaires, a fait preuve, au passage, d’une grande voracité. Estimant le moment venu de prendre le contrôle du pouvoir exécutif après avoir mis son leader à la tête du législatif, il en a finalement eu pour ses frais. Car c’est le contraire qui eut lieu. Toutes les forces progressistes, libérales et centristes, se sont liguées contre Rached Ghannouchi et ses «frères musulmans» et leur vote massif contre le gouvernement Jemli a résonné sous la coupole du Bardo comme un retentissant «No pasarán!».
Une page est tournée, certes, mais momentanément, car le plus dur reste encore à faire. Il s’agit maintenant de renforcer le front parlementaire ainsi constitué et de le transformer en un front politique uni autour d’un véritable programme de salut national, en évitant les points d’achoppement et en construisant sur le plus grand dénominateur commun, au-delà des petits calculs partisans et des querelles de leadership, comme on en a connus jusque-là et qui ont fait trop de mal à la transition politique, ouvrant, à chaque fois, un boulevard devant le parti islamiste.
Des boulevards, comme celui fermé hier soir, ne devraient plus s’ouvrir devant Ennahdha, revenu, à la faveur d’un vote, à sa véritable dimension, celle d’un parti minoritaire qui n’aurait jamais dû gouverner la Tunisie.
Un homme au-dessus des lignes de fracture
Le plus dur reste à faire, écrivions-nous plus haut. En effet, la victoire d’hier soir pourrait s’avérer éphémère, comme celle de Nidaa Tounes en 2014, si on ne parvient pas à la transformer en une dynamique politique durable. Et pour cela, on sait ce qu’il convient d’éviter coûte que coûte. Et d’abord les divisions idéologiques et les querelles de chefs. Car, le chef, aujourd’hui, c’est le président de la république Kaïs Saïed, élu avec plus de 72% des suffrages lors des dernières présidentielles, et qui est le seul à incarner une légitimité populaire.
Personnalité indépendante, populaire et intègre, Kaïs Saïed transcende toutes les lignes de fracture et offre par son statut, sa stature et sa parole le liant nécessaire dont les forces politiques ont besoin pour transformer le pays, mettre en route les réformes nécessaires, faire patienter les populations et, surtout, faire face aux lobbys de toutes sortes que les changements à venir vont nécessairement bousculer.
Et comme la constitution, malgré ses carences criardes, a tout prévu, c’est au président de la république que revient, maintenant, la tâche de choisir la personnalité adéquate pour composer un gouvernement capable de gagner le vote de confiance de l’Assemblée et de prendre les rênes des affaires dans un délai d’un mois. Il restera donc aux acteurs politiques, y compris les Nahdhaouis, de s’employer, dès maintenant, à lui faciliter la tâche, par l’appui, la proposition et le conseil constructif.
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