Les dirigeants de la planète ont déjà acté la chute de l’économie mondiale en 2020, après le passage dévastateur du coronavirus. Ils s’inquiètent désormais pour le «jour d’après» de cette Grande Récession.
Par Hassen Zenati
La récession mondiale sera aussi sévère, sinon plus, que celle qui avait frappé le monde après la crise financière de 2008-2009, a déjà averti la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, en appelant les Etats à prendre des mesures énergiques pour atténuer le choc, tout en continuant à travailler pour contenir la pandémie et assurer la sortie de la crise sanitaire avec le moins possible de dégâts humains. Elle a ainsi mis en garde les pays comme les Etats-Unis et le Brésil contre la tentation d’une levée prématurée des mesures de confinement, estimant qu’il «sera impossible de parvenir à une reprise solide sans un confinement solide». «On n’a jamais eu une économie» qui s’arrête d’un seul coup, a-t-elle ajouté sidéré.
Les PIB ont chuté en moyenne d’un tiers
La question qui hante les dirigeants du monde est maintenant de savoir ce qu’il faut faire le «jour d’après» lorsque la crise sanitaire surmontée, il faudra s’atteler à la remise en état de l’économie mondiale éreintée par le Covid19. Les premiers chiffres qui viennent de tomber, établis «à la louche» faute de données définitives fiables, par des experts de différentes organisations internationales, sont proprement effarants.
Alors que le nombre de morts atteints par le virus insaisissable et rebelle se chiffre par dizaines de milliers et augmente rapidement, et que près de la moitié de l’humanité est désormais sous confinement total (Chine, Inde) ou partiel (France, Italie, Espagne, Royaume Unis, Etats-Unis), en moins de trois mois de crise sanitaire, les PIB ont chuté en moyenne d’un tiers. Chaque mois de retard pour amorcer la relance sera payé de trois à quatre point de richesse nationale en manque à gagner. Les agences de notation financière évaluent le recul en moyenne mondiale à au moins 0,8% de PIB sur une base annuelle. La contraction pourrait atteindre 2% aux Etats-Unis et 2,2% dans la zone euro.
Le monde en fin de cycle, après plusieurs années de hausse continue de l’activité, notamment aux Etats-Unis, qui ont enregistré leur taux de chômage le plus bas depuis des décennies, se préparait, certes, à un recul de la croissance. Mais le Covid-19 s’est abattu comme un fléau pour accélérer la chute.
Des millions de chômeurs en plus
Cela se traduira immanquablement par des millions de chômeurs en plus, une baisse importante du pouvoir d’achat, en particulier celui de la classe moyenne, colonne vertébrale des pouvoirs en place, et à travers le creusement des déficits budgétaires, par l’explosion des dettes nationales. Avec comme conséquence possible, sinon probable, une crise des dettes souveraines dans les pays les plus endettés (plus de 100% du PIB). Ils seront tôt ou tard confrontés soit au refus des emprunteurs de s’engager à leurs côtés soit à des taux d’intérêts tellement élevés que le remède sera, pour eux, pire que le mal, alors qu’ils souffraient déjà, avec des taux d’intérêts proches de zéro, sinon négatifs, avant la crise sanitaire. Seul pays qui échappera sans doute à ce dilemme: les Etats-Unis. Grâce au statut privilégié du dollar, monnaie nationale et internationale à la fois, ils pourront creuser leurs déficits tant qu’ils le voudront, sans avoir à rendre de comptes.
Premier réflexe des puissances publiques pour contrer la catastrophe économique qui s’annonce : ouvrir à fond les vannes du crédit, soit indirectement à travers les budgets, soit directement par l’intermédiaire des banques nationales ou régionales. Depuis quelques jours, si l’on en croit les annonces successives des grands argentiers du monde, l’argent est appelé à couler à flot.
Le G-20 fait «front commun» contre le virus
Les dirigeants du G-20 ont opportunément réintégré, à l’occasion, le président de la Russie Vladimir Poutine, placé depuis plusieurs mois au ban de cette organisation des pays les plus riches du monde. Ils ont été appelés à mettre en sourdine leurs tiraillements politiques pour «envoyer un message fort d’unité et de confiance» à un monde en pleine détresse.
La «pique» s’adressait notamment au secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, qui avait tenté de relancer la polémique avec la Chine sur l’origine de la pandémie et sommé le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane à se «montrer à la hauteur des enjeux (…) en rassurant les marchés énergétiques et financiers mondiaux». Allusion directe à la guerre des prix du pétrole déclenchée par Riyad initialement pour «punir» la Russie pour s’être désolidarisé de l’OPEP, mais qui s’avère être catastrophique pour les producteurs américains de pétrole de schiste.
Finalement le G-20 a décidé de faire «front commun», face à un «virus qui ne connaît pas de frontières», en appelant ses membres à la «solidarité», à la «transparence» et à la coopération avec les institutions internationales pour «rétablir la confiance, préserver la stabilité financière et ranimer la croissance». Il a annoncé qu’il mettra 5.000 milliards de dollars sur la table dans le cadre de politiques fiscales ciblées et de plans pour contrer les impacts économiques, sociaux et financiers négatifs de la pandémie du siècle. Les pays membres ont été en outre appelés à mettre un terme à leur «guerre commerciale» (allusion au bras de fer entre Washington et Pékin) et à faciliter les flux commerciaux internationaux dès la fin de la crise sanitaire. «Les guerres commerciales et les sanctions aggravent la récession», a rappelé Vladimir Poutine, dont le pays subit de lourdes sanctions depuis la guerre d’Ukraine.
La course aux aides budgétaires
Mais déjà, les engagements du G-20, qui a omis de mentionner l’aide aux pays les plus pauvres confrontés à la pandémie, ont été jugés «insuffisants» par le directeur exécutif de l’ONG Oxfam, Chema Vera. Il a appelé à un «plan vraiment ambitieux» pour soutenir l’investissement dans les infrastructures de santé publique. «Les gouvernements les plus riches sont encore au stade de l’échauffement face à l’ampleur de l’effort à fournir», a-t-il averti.
Dans son sillage, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, chef de l’OMS, a réclamé le soutien du G-20 aux pays à faible et moyen revenu d’Afrique subsaharienne et demandé au FMI et à la Banque mondiale de suspendre le remboursement des dettes des pays les plus pauvres.
Partout dans le monde c’est la course aux aides budgétaires, en faisant fi des «sacro-saintes» règles de stricte limitation des déficits pour soutenir des économies chancelantes et contenir l’ampleur de la débâcle. «C’est la guerre et il faut faire face coûte que coûte», a décrété le président français Emmanuel Macron, bientôt repris par l’ensemble des dirigeants européens malgré leurs divergences de fond. Italie, Espagne, Royaume Unie, Allemagne, les plans d’urgence ou «plan bazooka» tombent en cascade pour rassurer les milieux d’affaires et soutenir le moral des populations inquiètes du lendemain. Mesure phare : le report des charges et impôts pour éviter la faillite des entreprises les plus fragiles. Mais l’arme principale préconisée est le chômage partiel, payé au taux de 90 à 100% du salaire net, pour éviter les licenciements et préserver les savoir-faire pour le «jour d’après» la crise sanitaire, lorsqu’il faudra redémarrer l’activité. Des aides aux familles sont par ailleurs prévues, notamment pour les parents contraints d’arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants sevrés d’école.
L’édifice européen en danger de désagrégation
Sur un autre plan, le Covid19 a attisé les différends entre les pays du Nord de l’Union Européenne (Allemagne, Pays-Bas) et ceux du Sud (Italie, Espagne, France, Grèce) sur la question épineuse et récurrente de la «mutualisation» de la dette des Etats : les premiers estimant qu’ils n’ont pas à payer de leurs excédents accumulés grâce à une gestion vertueuse de leur budget, les déficits des pays du sud occasionnés par des dépenses publiques mal contrôlées. L’Italien Guiseppe Conte est allé à la confrontation et n’a pas mâché ses mots dans une menace à peine voilée: «Nous devons éviter de faire en Europe des choix tragiques. Si l’Europe ne se montre pas à la hauteur de ce défi sans précédent, l’édifice européen tout entier risque de perdre, aux yeux de nos propres citoyens, sa raison d’être.»
Pour leur part, les Etats-Unis, ne craignant pas les déficits, ont plongé les mains profondément dans la poche pour sortir 2.000 milliards de dollars de soutien en faveur d’un plan de relance qualifié dores et déjà d’«historique», mais qui, pour certains experts, préconisant le double, pourrait s’avérer insuffisant.
Donald Trump tient mordicus à remettre les Américains au travail le plus tôt possible, avant Pâques, si possible, estimant qu’un confinement prolongé de la population pourrait «détruire le pays» et qu’une «grave récession pourrait faire plus de victimes que le virus». Il n’a pas hésité à engager un bras de fer sur ce thème avec le Conseil scientifique de la Maison Blanche.
Les États-Unis qui ont déjà basculé dans la récession, pourraient perdre 350 milliards de dollars de PIB et un million d’emploi, selon le bureau d’études britanniques Oxford. Le président de la Réserve fédérale de Saint Louis James Bullard parle de «choc violent» et anticipe pour sa part 46 millions chômeurs au total à court terme dans un pays où la protection sociale est faible. Cette évolution cauchemardesque hante les nuits de Donald Trump, qui comptait sur la prospérité économique retrouvée pour assurer sa réélection dans un fauteuil en novembre prochain.
Mais au-delà des mesures de court terme pour la relance de l’économie mondiale en souffrance, «le jour d’après» la crise posera deux problèmes auxquels on ne sait toujours pas répondre. Faut-il poursuivre la mondialisation au risque de subir de nouvelles crises planétaires du fait de la connexion de plus en plus étroite des économies nationales ? Et puisqu’on connaît les perdants de la crise du coronavirus, dont on va voir les économies vaciller les unes derrière les autres au cours des prochains mois, quels en sont donc les gagnants?
À la première question, la réponse est, au doigt mouillé : il vaut mieux continuer la mondialisation en l’ajustant, que de se laisser subjuguer par des appels à contre-courant, dont l’effet néfaste sera certain, même s’il reste pour l’instant incalculable. Un arrêt brutal du commerce mondial et du libre-échange se traduira pour le moins par une montée en flèche des prix à la consommation dans chaque pays et de pénuries insupportables. Une telle perspective va sans doute dans le sens de la décroissance prônée notamment par les écologistes en Europe, mais convient-elle au consommateur lambda ?
Les experts sont moins incertains sur les gagnants de la crise sanitaire. Ce seront probablement les Gafa : Google, Amazone, Facebook, Twitter, ces géants du numérique et d’internet, qui disposent de plates-formes gigantesques bien implantées en Europe et dans le monde. La crise actuelle devrait leur permettre de renforcer la suprématie commerciale qu’ils ont acquise ces dernières années dans les économies du Vieux Monde, et d’accélérer la transition de l’économie mondiale vers le numérique.
Déjà plusieurs groupes de l’ancienne économie sont à l’agonie, emportés par le mouvement de fond du numérique. Amazon a dû embaucher 100.000 personnes pour faire face aux commandes générées à la suite du confinement. Tout un symbole. Dans plusieurs autres domaines les géants américains du numérique, devenus en quelques années les plus grandes capitalisations boursières, sont en train de prendre définitivement le pas. Ils seront avec quelques autres, notamment le Chinois Alibaba, de plus en plus en plus dominants et de plus envahissants, peut-être même sans égards à la vie privé des connectés.
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