Moscou et Riyad sont prêts à enterrer la hache de guerre sous la pression du président des Etats-Unis, Donald Trump, lui même acculé par le lobby pétrolier américain, avec en perspective un rebond du prix du pétrole.
Par Hassen Zenati
L’Arabie saoudite et la Russie sont prêts à enterrer la hache de guerre dès lundi prochain, 6 avril 2020, sous la pression du président des Etats-Unis, Donald Trump, plus que jamais demandeur d’une hausse de prix du baril pour sauver d’une déroute annoncée l’industrie pétrolière américaine, notamment les producteurs de pétrole de schiste à l’agonie.
Mais, si Moscou, avec deux fers au feu, a joué «gagnant-gagnant» et devrait obtenir une levée au moins partielle des sanctions américaines qui la frappent depuis le début de crise d’Ukraine, en contrepartie de son apparente résignation à une baisse de la production, l’Arabie Saoudite, en se mettant à la remorque des Etats-Unis, s’est fourvoyée dans un jeu complexe d’emblée perdant pour elle.
Les Etats-Unis espèrent un recul «raisonnable» de la production
Les négociations risquent d’être très serrées entre les deux pays, qui sont parmi les plus grands producteurs de pétrole au monde. L’enjeu est le volume de la baisse de production qui sera négociée. Donald Trump a indiqué qu’il espérait une réduction de 10 à 15 millions de barils par jour au niveau de l’Opep+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole, plus la Russie) alors que Moscou reste réticent à s’engager sur cette voie.
L’amputation espérée semble trop importante pour être acceptée par la Russie, mais Donald Trump, adepte du «wishfull thinking», n’a pas craint de mettre la barre très haut afin d’obtenir in fine un recul «raisonnable» de la production.
Une trop grande réduction des volumes risque de se traduire par une trop forte augmentation des prix, ce qui n’arrange pas la Russie. Sa stratégie est de faire barrage aux producteurs de pétrole de schiste américains, premiers bénéficiaires, de son point de vue, d’une nouvelle flambée des prix.
Le pétrole de schiste américain, dont les coûts sont plus élevés que ceux du pétrole conventionnel, représente la production en marge aux Etats-Unis. D’après les experts russes, la baisse des prix peut éliminer dans les mois à venir la plupart des producteurs de ce pétrole mal venu, selon eux. Le prix du brut conventionnel peut alors retrouver un niveau de 60 dollars à la fin de l’année.
Disposant encore d’un matelas confortable de devises, malgré les sanctions américaines et européennes, la Russie estime pouvoir tenir le choc d’une baisse des prix. Elle table sur un épuisement de son rival saoudien pour qu’il lâche le premier. Combien de temps cette guerre de tranchées pourrait-elle durer ? Personne n’est capable de le dire en l’état des données disponibles. Le poker menteur alimenté par les réticences réelles ou feintes de Vladimir Poutine à se rendre à une réunion d’Opep+ pourrait durer tout le week-end.
Selon les analystes, les producteurs américains de pétrole de schiste n’ont aucune chance de survie à court terme, à moins d’un prix à 35 dollars le baril. Certains situent même ce prix-plancher à 50 dollars le baril, alors qu’avant la «guerre des prix» déclenchée par Riyad pour contrer la stratégie russe, ils flirtaient depuis plusieurs semaines avec les 60 dollars/baril. La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole, devancée désormais par les Etats-Unis.
La pandémie du coronavirus pèse lourdement sur la demande
Le conflit sur les niveaux de production a fait chuter les prix à leur plus bas niveau depuis 2002, autour de 20 dollars le baril. La pandémie du coronavirus, en figeant l’économie mondiale, a pesé lourdement sur la demande, chinoise en particulier, ce qui n’a fait qu’aggraver le déséquilibre offre-demande, entraînant le pétrole vers les abysses.
Un des volets de la négociation, qui se profile, est de savoir comment partager le fardeau de la baisse de la production. Donald Trump a suggéré que les coupes seraient à la charge de l’Arabie saoudite et de la Russie, mais l’Opep veut y associer d’autres pays, y compris les Etats-Unis. Si la chute des prix se poursuit, les pays les moins pourvus et les plus peuplés de l’Opep devraient faire face à des difficultés économiques et sociales inextricables, qu’il leur sera difficile de surmonter en raison de leur très grande dépendance du pétrole. Ils paieraient un prix très élevé à cette dépendance.
Pour le président américain, l’enjeu politique d’une remontée des prix du pétrole est de taille. Il porte ni plus ni moins sur sa réélection pour un second mandat en novembre prochain. Alors qu’il est ouvertement critiqué pour sa gestion incertaine de la pandémie du Covid-19 – qui se traduit par une montée en flèche depuis quelques jours du nombre de morts et du nombre de personnes infectées –, un armistice favorable aux grandes compagnies pétrolières américaines, pourrait redonner un second souffle à sa campagne électorale qui commence à battre de l’aile.
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