Le capitalisme sauvage et la mondialisation du néolibéralisme ont joué un rôle primordial dans la production des épidémies et des pandémies, y compris en Chine depuis son ouverture au libéralisme économique. Mais par-delà la gestion en cours de la dernière pandémie en date, le coronavirus, Covid-19, l’avenir ne se pose pas, nécessairement, en termes de «printemps des nationalismes», à travers la montée des expressions nationalistes de la révolution conservatrice, mais de restauration de la démocratie et sa réconciliation avec sa nécessaire dimension sociale et du l’Etat providence qui pèse sur les lois de marché et oriente l’économie vers la prise en compte des droits socio-économiques et culturels de la population.
Par Mohamed-Chérif Ferjani *
4 – L’après corona : «Printemps des nationalismes» ?
Contre les ravages de la mondialisation néolibérale, depuis les années 1980, les réflexes identitaires de toutes sortes – nationalistes, religieux, ethniques, tribaux ou autres –, sans remettre en question le néolibéralisme comme système économique, ont favorisé le développement de différentes expressions de la révolution conservatrice.
En effet, depuis l’élection de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980, la révolution conservatrice et le néolibéralisme vont de pair. La crise du corona n’a pas manqué de susciter des réactions dans ce sens, comme l’illustre bien un article publié par le site du Centre égyptien d’études stratégiques (Egyptian Center for Strategic Studies), le 24 mars 2020, avant que l’arrivée de la pandémie aux Etats-Unis ne soit prise au sérieux. L’auteur de l’article, Iheb Omar, perçoit dans la crise consécutive à la pandémie du corona, les signes annonciateurs d’un nouveau paysage politique international qu’il identifie comme suit : «Printemps des nationalismes, automne de l’Union Européenne, faillite de la mondialisation chinoise et éclipse du néolibéralisme» (5).
À la lecture de l’article, on se rend compte que le «printemps des nationalismes» pronostiqué a pour modèle les politiques de Trump, présenté comme un opposant à la mondialisation et au néolibéralisme, et de Poutine, ainsi que les mouvements d’extrême droite et les autres expressions de la révolution conservatrice. Dans ce sens il affirme que «l’un des premiers traits de l’après corona est la colère des peuples européens contre l’Union Européenne», en donnant comme exemple les protestations de l’Italie et de l’ultra nationaliste président serbe, Aleksandar Vucic (6). Il pronostique de nouvelles victoires pour la droite nationaliste dans les prochaines élections en Italie et dans les autres pays européens, et voit dans l’aide apportée par la Russie, qu’il surestime par rapport à celle de la Chine, à l’Italie et aux pays dirigés par des partis ou des coalitions nationalistes de droite, une base pour que ces pays se rapprochent encore plus de la puissance russe dont l’influence irait en augmentant. Par ailleurs, il annonce, à côté de la stabilisation des droites nationalistes en Autriche, en Italie et en Grèce, l’élimination d’Angela Merkel et des autres dirigeants européens de la droite traditionnelle, mais aussi des Verts, des socio-démocrates au Portugal et en Espagne et des mouvements de gauche dans toute l’Europe.
C’est sur la base de cette vision que «l’automne de l’Union Européenne» devrait ainsi se traduire par un «printemps des nationalismes». Ceci est clair quand il dit : «Le courant nationaliste en général, et la droite nationaliste en particulier, seront les grands gagnants de la crise du Corona dans le cadre de la lutte entre les idéologies et le courant libéral et ses alliés que sont les conservateurs traditionnels, les socialistes et les Verts en Occident; le marathon en vue de la direction du système capitaliste mondial (ou global) est sur le point d’atteindre un point décisif annonçant la chute d’un grand nombre de forces traditionnelles pour donner le pouvoir dans les pays dirigés par ces forces au courant nationaliste.»
Il ne s’agit pas d’une analyse, mais plutôt d’un plaidoyer en faveur du projet des expressions nationalistes de la révolution conservatrice, qui ne cherchent pas à remettre en cause le capitalisme et le néolibéralisme, mais veulent seulement le diriger. Ce positionnement idéologique est confirmé par la vision qu’il donne de la politique américaine menée sous la direction de Donald Trump. Cette politique est présentée comme la volonté de «soustraire l’économie américaine à la domination de la Chine», par la «diminution des importations» en provenance de ce pays, par la «promotion d’une pensée économique nationale comme alternative à l’économie néolibérale», par la «défense du marché national au lieu du marché libre».
Ces orientations sont saluées comme la clef de la «réussite économique de Trum» : «baisse du chômage et des impôts, croissance de la production», etc. Elles seraient une libération de la «mondialisation américaine» de la «domination chinoise». La situation en Chine est présentée comme celle d’un déclin inévitable avec une croissance en panne avant que le corona ne lui fasse perdre 18% de son «efficacité économique». Au même moment, l’Amérique de Trump «récolte les dividendes de sa politique» visant à «limer les griffes» du «dragon chinois» qu’elle aurait réussi à «mettre à genoux». La baisse du taux de crédit à 0%, qui fait perdre aux créanciers des Etats-Unis – dont la Chine, la Russie et les pays du Golfe – est saluée comme une mesure qui fait «gagner à l’économie américaine 40 milliards de dollars par an». Mais cela était sans compter avec les effets de la pandémie, survenus depuis. Ces effets ont révélé les fragilités de l’économie et des solidarités sociales aux Etats-Unis, comme déjà rappelé. Aucun mot sur l’arrogance, le cynisme et l’égoïsme des Etats-Unis au niveau international ! Rien au sujet de la solidarité de la Chine, et de Cuba, à l’égard des pays touchés par la pandémie, ou du Portugal qui a régularisé ses immigrés pour mieux les protéger contre la propagation virus ! Seuls les Etats et les courants à orientations nationalistes ont droit à la bienveillance de ce plaidoyer en faveur des expressions nationalistes de la révolution conservatrice.
Sainte Consorce, le 2 avril 2020.
A suivre…
* Professeur honoraire de l’Université Lyon 2, Président du Haut-Conseil de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies chercheur associé de plusieurs laboratoires et centres de recherches dont, l’ISERL à Lyon, et Dirasset Maghrébines et l’IRMC à Tunis, auteur de ‘‘De l’islam d’hier et d’aujourd’hui’’, éd. Nirvana Editions et Presses de l’Université de Montréal, 2019, ‘‘Pour en finir avec l’exception islamique’’, éd. Nirvana, Tunis 2017, ‘‘Religion et démocratisation en Méditerranée’’, éd. Riveneuve, Paris 2015/Nirvana, Tunis 2016, ‘‘Le politique et le religieux dans le champ islamique’’, éd. Fayard, Paris 2005, ‘‘Islamisme, Laïcité et droits humains’’, éd. Amal, Tunis, 2012 (l’Hamattan, Paris, 1992), ‘‘Les voies de l’islam, approche laïque des faits islamiques’’, éd. Le Cerf, Besançon/Paris, 1996, et d’un livre autobiographique : ‘‘Prison et liberté’’, éd. Mots Passants, Tunis, 2015, Nirvana, 2019.
Notes:
5- Covid-19.
6- L’un des dirigeants du Parti Radical Serbe, Aleksandar Vucic qualifie dans Slobodan Milošević, de «grand Serbe» et n’hésita à déclarer en 1995, au lendemain du massacre de Srebrenica coûtant la vie à 8000 musulmans : «Si vous tuez un Serbe, nous allons (tuer) cent musulmans». (Voir : «Aleksandar Vucic, faucon ultranationaliste converti en ami de l’UE», RTBF Info ; voir aussi Julia Druelle, «Vucic, l’homme qui veut la Serbie en Europe», Le Figaro, samedi 23 / dimanche 24 avril 2016, page 7).
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