Les crédits qui affluent de toutes parts, les dons en espèces et en nature, les retenues sur salaires, l’impact positif sur la baisse du prix de pétrole vont permettre à la Tunisie de récolter un bon pactole de 10 milliards de dinars. De cette crise du coronavirus (Covid-19), notre pays s’en sortira plus riche que jamais. Une vraie planche à billets. L’essentiel est de bien gérer les fonds publics et de ne pas les dilapider comme précédemment en salaires, primes et soi-disant compensations.
Par Mohamed Rebai *
On ne sait pas jusqu’à présent ce que les autorités publiques ont fait et vont faire de tous les fonds amassés à l’occasion de cette crise sanitaire? Pour le moment, le gouvernement a annoncé que les fonds débloqués pour les aides aux plus démunis seront dans la limite de 120 millions de dinars, soit 1,2% des recettes attendues! Il y a donc de la marge…
1- Les crédits étrangers :
Les dons et les crédits obtenus à des conditions avantageuses totalisent la coquette somme de 9,187 milliards de dinars se détaillant comme suit : Union Européenne (UE, 2,7 milliards de dinars), la Banque africaine de développement (BAD, 315 millions de dinars), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird, 3,44 milliards de dinars), les Etats-Unis (72 millions de dinars) et l’Italie (160 millions de dinars)…
Le Fonds monétaire international (FMI) qui a donné son feu vert pour un nouveau programme de crédit avec la Tunisie devant prendre effet à partir du deuxième semestre de cette année vient d’accorder à notre pays, au titre de l’instrument de financement rapide (IFR), un plan total de 2,5 milliards de dinars destinés à soutenir l’économie tunisienne fragilisée par le Covid-19.
2- Les dons en nature et en espèces :
D’après le ministère des Finances, le total des dons versés au compte postal 1818 dédié à la lutte contre le Covid-19 a atteint, jusqu’au 15 avril, 186,828 millions de dinars. Les aides en nature (lits de réanimation, outils de diagnostic, équipements de sécurité, médicaments…) seraient d’un montant équivalent voire plus. En l’absence de chiffres officiels, disons 200 millions de dinars.
3- Les retenues sur salaires :
Les autorités viennent de décréter une contribution circonstancielle exceptionnelle pour l’année 2020 au profit du budget de l’État égale à une journée de travail déduite sur les salaires et les pensions du mois d’avril 2020. Le montant récolté serait de 53 millions de dinars environ. Il n’y a qu’à diviser la masse salariale des secteurs public et privé par 360 jours.
4- La baisse du prix du pétrole :
Le budget tunisien pour l’année 2020 a été établi sur la base de 65 dollars le baril de «Brent», qui s’est négocié à 25 dollars la fin du mois de mars écoulé. Mercredi dernier, il a été clôturé à 9,12 dollars. Hallucinant ! Un prix négatif qui ne couvre même pas les frais d’exploitation. Les mesures de confinement ont entraîné une chute de la demande quasi instantanée. La faible demande sur les marchés pétroliers et l’abondance de l’offre ont fait le reste. Le prix du pétrole reste à surveiller comme le lait sur le feu. Les pays pétroliers vont crever la dalle très bientôt. Le monde changera. Il ne sera plus comme avant. Tout s’accélère.
Pour optimiser un tant soit peu l’impact positif sur le budget de l’Etat, deux alternatives s’offrent aux autorités tunisiennes.
1- Soit nous achetons à prix fixe. Problème: nous n’avons pas les capacités de stockage requises. Les Américains peuvent le faire pour des décennies mais nous ne sommes pas l’Amérique. N’oublions pas que cette année, nous n’avons pas pu gérer une récolte céréalière record (20 millions de quintaux). Des tonnes du précieux aliment ont été avariées par le mauvais temps faute de stockage dans les silos qui ont absorbé seulement 29% de la récolte. D’où la nécessité d’établir un plan à court, moyen et long termes pour augmenter nos capacités de stockage pour les produits stratégiques suivants : eau, pétrole, huile d’olive et céréales.
2- Soit nous effectuons une opération de «hedging» sur les prix. C’est, en deux mots, une couverture pour atténuer les risques. Cela contraste avec la spéculation, qui prend des risques en s’appuyant sur les prix pour faire des profits.
L’Etat ne peut pas le faire sans suspicion de malversations financières. Par contre, une compagnie nationale comme Tunisair pourrait choisir d’acheter le pétrole à terme afin d’atténuer le risque de hausse des prix du carburant. Cela lui permettrait de se concentrer sur son activité principale, à savoir transporter des passagers.
La Société tunisienne des industries de raffinage (Stir) aux capacités de raffinage dérisoires (34.000 barils/jour) pourrait également le faire dans les limites de ses activités d’importation de pétrole raffiné.
Lorsque les contrats à terme expirent, la société prend la livraison physique du pétrole et du paiement en dollars américains. Si nous parlons d’une entreprise tunisienne, cela représenterait un risque de change. Par conséquent, il est fort probable que la société décide également de couvrir son risque en devises étrangères. Tout dépend de la durée du confinement. On sait quand on entre dans une crise, on ne sait jamais quand on en ressort.
Libre au trader de prendre des positions à la hausse et à la baisse afin de rechercher des profits tout en étant exposé à un risque minimal. Mais, il va falloir trouver un bon trader pour ne pas se casser les reins. Lorsque le confinement va prendre fin, la demande repartira très rapidement à la hausse et les prix pourraient repartir également à la hausse. On peut anticiper un effet yoyo des prix dans les prochains mois et une très forte volatilité du prix du baril. Le trader peut prendre l’option et non l’obligation d’acheter ou de vendre à un prix fixe (prix d’exercice ou Strike), à une date déterminée à l’avenir (date d’expiration).
Le hedging est un mécanisme très complexe et il est inutile d’exposer ici le mode de fonctionnement en détail. Cela mériterait un article à part.
5- Fiscalité-impôts directs
On peut encore gagner de l’argent en levant plus d’impôts sur les sociétés commerciales et industrielles. Nous pouvons facilement doubler la mise pour atteindre les 10 milliards de dinars. En Tunisie, les sociétés étatiques souffrent d’un déficit chronique depuis longtemps. La «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha (janvier 2021-janvier 2014) a encore aggravé leur situation en y faisant recruter à tour de bras des milliers de bras cassés.
Les sociétés privées ont la fâcheuse habitude de présenter chaque fin d’exercice trois bilans. Un bilan réel pour connaître ses résultats. Un bilan maquillé pour obtenir plus de crédits auprès des banques, cela revient à dire déguiser un cochon, et un troisième bilan fiscal où le résultat, comme on le devine, est nul et souvent négatif, moins que zéro.
Il est anormal de voir les sociétés non-pétrolières participer à hauteur de 2.637 millions de dinars (2019) soit 21% des impôts directs. Les sociétés pétrolières 1.298 millions de dinars (2019) soit 11% des impôts directs. Les salariés continuent à supporter le plus lourd fardeau des impôts directs 8.525 millions de dinars (2019) soit 68% des recettes totales. Inconcevable ! C’est un déséquilibre abyssal qui ne peut plus continuer. Il est temps d’y remédier. Ne parlons pas des professions libérales, fortement rémunératrices mais qui paient des miettes au service du fisc chaque fin d’année.
6- Fiscalité- impôts indirects :
Il en est de même pour ce qui des impôts indirects (droits de douane, TVA, droits de consommation…). En 2019, on a pu recueillir des droits de douane pour 1.343 millions de dinars soit 8% des impôts indirects (16.622 millions de dinars) et seulement 5% de l’ensemble des impôts directs et indirects. Insignifiant.
Une réforme totale de la douane est à engager urgemment en parallèle avec l’extirpation des contrebandiers qui accaparent 60% des échanges commerciaux, privent l’Etat de recettes douanières et fiscales importantes, ne recrutent même pas et dont l’argent ne passe pas à travers le circuit bancaire. Certains contrebandiers ont gagné des sièges à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour y défendre leurs intérêts et il devient difficile de les en faire déguerpir.
Conclusion :
Depuis l’indépendance du pays, en 1956, nos administrateurs qui ont appris le métier des Français, n’ont pas changé de méthode de travail. J’étais dans les rouages de l’administration et je sais comment ils travaillent. Ils prennent tous les agrégats économiques un par un et modifient les chiffres à la hausse pour atteindre une croissance théorique qui n’a rien à voir avec la réalité. Ils ne font jamais de comparaison entre les prévisions et les réalisations, ni même les réalisations de l’année en cours avec celles de l’année précédente. Ils n’expliquent jamais les écarts positifs ou négatifs. La manière d’établir les budgets est toujours la même sans aucun changement notoire. «La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent», disait Albert Einstein.
Le management d’un pays ou d’une entreprise est une science où les connaissances résultent de la réflexion sur les expériences, les succès comme les échecs. Il suffit d’avoir à l’esprit les 5 fonctions du manager selon Fayol (prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler). Les nôtres ne savent rien et ne maîtrisent rien. Les neuf gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 se retrouvent chaque année avec un budget amoindri. Ils sont obligés d’ouvrir la fenêtre de tir et de rabaisser leurs prétentions excessives.
Avec le Covid-19 aux conséquences néfastes sur l’économie tunisienne, faut-il rectifier le tir et ajuster son budget 2020 à la réalité tant qu’il est temps ? Pensez-y SVP. Engagez des réformes. N’ayez pas peur. Ne tremblez pas. Ce que vous nous aviez demandé, on l’a fait en bon citoyen sans renâcler ni ergoter : confinement, arrêt de travail, aides, dons en espèces et en nature, retenue d’une journée de travail… Qu’attendez-vous encore de nous ? Faites votre part du travail, bon sang !
* Economiste à la retraite
Donnez votre avis