Après ‘‘Égypte 51’’, Yasmine Khlat publie son nouveau roman, ‘‘Cet amour’’, un récit où l’auteure libanaise fait l’éloge de la paix en ces temps de guerre et de haine.
Par Tawfiq Belfadel *
Seule dans un appartement parisien, Irène soufre de tocs qui lui donnent une peur inouïe de l’eau. Incapable de quitter son domicile, en manque d’argent, elle vérifie avec obsessions les robinets pour éviter une éventuelle inondation.
Un certain soir, elle appelle par téléphone le docteur Rossi. Elle est libanaise, lui israélien. Bien qu’une certaine loi interdise le contact entre les deux nationalités, leur échange s’allonge pour évoquer le Liban, la guerre, l’exil, l’absence, l’enfance… «Je voulais vous parler de mes tocs. Ils envahissent ma vie. M’empêchent de bouger, de me mouvoir, me tiennent attachée chez moi» (p14.) Ainsi, apaisée par la voix de Rossi, Irène décide de sortir le voir pour aller au bout de sa thérapie.
Entre Irène la Libanaise et Rossi l’Israélien
Soudain surgit Nadim, un amour ancien qui lui interdit d’aller voir le docteur parce qu’il est israélien. Irène ira-t-elle voir le docteur interdit et brisera-t-elle le mur de la haine ?
Le roman fait l’éloge de la paix en ces temps de guerre et de haine. Le sujet des tocs est un prétexte. L’éloge de la paix est incarné par les nationalités à la fois proches et lointaines des deux personnages Irène la Libanaise et Rossi l’Israélien. Les murs entre les deux pays sont effacés par le pont de la paix que bâtissent les deux grâce à cet appel téléphonique. Effacés par les mots. «Je contemple les choses et les événements avec plus de paix» (p26).
Ainsi, le roman explore ce questionnement philosophique à travers une simple fiction : peut-on effacer les murs de la haine, visibles et invisibles, par les mots de la paix?
Dans le roman, le thème de la paix n’est pas réductible aux deux nationalités des personnages, mais universel. L’auteure rend hommage à tout humain touché par la haine : le peuple du Yémen, les migrants, les SD, les Juifs persécutés… «Une fois devant la fenêtre ouverte j’ai égueulé Paris pour le sort que les Juifs ont connu durant les années hitlériennes» (pp17-18.)
L’auteure rend un hommage exceptionnel à Etty Hillesum (1914-1943), écrivaine juive qui a connu le camp de transit Westerbork et celui de concentration d’Auschwitz où elle est morte. Il y a des points communs entre Etty et Irène : en plus de leur attachement à la foi, les deux ont subi une thérapie et écrivent pour témoigner; Irène écrit un journal intime, et Etty a laissé en plus de son journal les ‘‘Lettres de Westerbork’’, ‘‘Une vie bouleversée’’ qui sont des références universelles sur l’histoire des Juifs.
Donc les deux femmes ont eu une vie bouleversée. Et à travers le nom d’Etty, l’auteure rend hommage à tout humain persécuté. «Je pense aux propos d’Etty Hillesum sur la haine. Elle dit, dans son journal je crois, que le moindre atome de haine rend le monde plus inhospitalier encore» (p26.)
L’exil, la guerre, le Liban…
D’autres thèmes récurrents dans les œuvres de Yasmine Khlat complètent le thème primordial de la paix : l’exil, la guerre, le Liban… «La joie, le bonheur, l’émerveillement c’était le Liban» (p35).
Le nom du personnage principal, Irène, est symbolique : un prénom dérivé du grec qui symbolise «paix». L’auteure a fait ce choix pour mieux illustrer le thème de la paix.
Yasmine Khlat a glissé discrètement des éléments autobiographiques dans cette fiction : Ismaïlia (lieu de sa naissance), Le Liban (pays des origines), Paris (lieu d’exil), la passion d’écriture… Ainsi, elle se dit à travers ses personnages.
L’écriture est à la fois limpide et profonde; avec des mots simples, l’auteure aborde des sujets sensibles. Par exemple, le fait d’insérer un personnage israélien dans une fiction crée tant de polémiques surtout dans les pays à majorité musulmane. Autre exemple : la traduction vers l’hébreu d’un roman d’Alaa El Aswany a causé une grande polémique; le romancier a reçu des milliers d’insultes et de messages de haine, voire des menaces.
L’inverse aussi est une réalité : la traduction des romans hébreux vers l’arabe est inexistante. Ceci est un sujet intéressant à débattre scientifiquement et avec sérieux. «(…) Je suis israélien. C’est gênant pour vous. Peut- être même dangereux» (p40), dit le docteur Rossi à Irène.
L’auteure mêle deux genres : le dialogue direct au début et l’épistolaire à la fin. Ainsi, l’absence des styles indirect et indirect libre, le manque des commentaires accompagnant le dialogue, rend l’intrigue faible et l’échange ennuyeux; le lecteur a l’impression de lire un texte théâtral destiné à être joué.
À travers une fiction liant une Libanaise et un Israélien, ‘‘Cet amour’’ fustige toute forme de haine, détruit tous les murs visibles et invisibles, et fait l’éloge de la paix universelle.
Point fort du livre : le thème (audacieux et unique)
Belle citation : «C’est terrible d’être à la fois ennemis et si proches. Moi je suis contre les nations, contre les pays. Pour une paix universelle et un partage universel» (p54.)
Yasmine Khlat est née en 1959 à Ismaïlia (Egypte) dans une famille libanaise. Elle est romancière, actrice et réalisatrice. Depuis 1986, elle vit à Paris et se consacre à l’écriture. Elle a publié aux Editions du Seuil : ‘‘Le Désespoir est un péché’’ (Prix des cinq continents de la francophonie 2001), ‘‘Le Diamantaire’’ (2006), ‘‘Partition libre pour Isabelle’’ (2004), ‘‘Egypte 51’’ (2019).
* Ecrivain et chroniqueur algérien.
**‘‘Cet amour’’, roman de Yasmine Khlat, éd. Elyzad, Tunis, 2020, 152p.
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