Comment nier le fait que le phénomène politique actuel, en Tunisie, réside dans l’ascension progressive de la figure de Abir Moussi dans un paysage politique tunisien plutôt terne par ailleurs ?
Par Jamila Ben Mustapha *
Beaucoup, pour ne pas défendre une ancienne adepte de Ben Ali, la soutiennent actuellement dans le silence, sans prendre le risque d’assumer publiquement leur attitude, ou s’enferment dans une attitude figée, restant dogmatiquement fixés à son ancienne image.
Ils refusent ainsi de constater ces évidences qui constituent sa spécificité et expliquent, qu’au cours de ses interventions, elle tranche et se distingue par la clarté et la précision de ses analyses, son éloquence, la fidélité à ses convictions et ses idées, et son courage qui fait qu’elle a manqué être lynchée en mars 2011, en osant, comme avocate, défendre seule le RCD, ancien parti du régime de Ben Ali, dissous depuis, au Palais de Justice.
Une sorte de Mongi Rahoui de droite
Plus récemment, c’est toujours elle seule qui s’est dressée frontalement au Parlement contre son président Rached Ghannouchi, et lui a asséné, face à face et les yeux dans les yeux, ce qu’elle considère comme ses 4 vérités.
Et toute personne qui n’hésite pas à mener seule une bataille apparemment perdue d’avance, n’est pas sans rappeler le personnage de Cervantès, Don Quichotte, dans ce qu’il a d’idéaliste, de pathétique, et même de grandiose.
On peut nommer avec elle, et de façon moins éclatante, seulement Mongi Rahoui, situé pourtant du côté opposé de l’échiquier politique, comme personnalité qui a la force et le courage d’exprimer sans ambages ses points de vue.
Il est temps de considérer Abir Moussi de façon dynamique et de prendre acte de son évolution, de ne pas tenir compte seulement du passé pour la juger, mais aussi du présent qui montre sa lutte acharnée contre le parti Ennahdha, nous fait voir un personnage assez averti, peut-être, pour être capable, dans le futur, de tenter de corriger sa rigidité, son agressivité, ses positions conservatrices sur le plan des droits de l’homme ( elle s’est dite contre l’égalité dans l’héritage et la dépénalisation de l’homosexualité) et qui enchaîne actuellement les luttes contre son ennemi politique, l’une après l’autre.
Un leadership acquis par l’audace et le sens du risque
Ce personnage se trouve ainsi passé du statut de défenseur d’un régime très peu reluisant, celui du dictateur Ben Ali, à celui d’opposant virulent – et, au départ, isolé comme l’était Chokri Belaïd, il y a près d’une dizaine d’années – au mouvement politique resté encore, malgré sa courbe descendante, le plus important en Tunisie : celui des islamistes.
Elle a eu la force – dans une société patriarcale et même machiste – de s’imposer tout naturellement comme un chef respecté par tous les membres masculins de son parti, et qui lui concèdent volontiers un leadership qu’elle a conquis par ses talents oratoires, son audace et les risques sérieux qu’elle prend quotidiennement, mettant ainsi sa vie en danger.
Sa seule chance, sur ce plan-là, est de mener sa lutte après la survenue des assassinats de Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et de tant d’autres compatriotes…
On peut, concernant les luttes féminines, contribuer à faire avancer indirectement la cause du «deuxième sexe» dans la société sans être une féministe déclarée, mais en plongeant dans la bataille – politique, économique, sociale – en visant un leadership justifié par ses propres compétences, en ne se trouvant en concurrence qu’avec les hommes, en subissant leurs préjugés et en triomphant au final, inscrivant ainsi son nom dans l’Histoire.
Une femme qui détonne dans un paysage politique tunisien terne
C’est en pratique que ces femmes font progresser la cause féminine; peut-on dire encore, devant les résultats des Tunisiennes à tous les concours universitaires, et surtout devant quelques autres qualités comme le courage, trait perçu comme typiquement viril (celui de Maya Jribi, de Lina Ben Mhenni face aux policiers, et de tant d’autres), qu’«elles manquent d’esprit et de religion»?
Aussi loin qu’ils soient l’un de l’autre, sur le plan idéologique et politique, elle et Chokri Belaid constituent un ensemble formé par 2 personnalités politiques qui se sont, clairement et avec courage, opposées aux islamistes avec qui, pourtant, beaucoup d’autres Tunisiens essaient de composer pour des motifs plus ou moins louables.
Bien entendu, le tableau n’est pas seulement qu’idyllique dans la vidéo portant sur le discours de la présidente du Parti destourien libre (PDL) devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) après la levée de son sit-in, le vendredi 22 mai dernier, à la suite de l’aboutissement de ses revendications, à cause des réactions de son entourage et de l’attitude de ses sympathisants qui n’est pas sans rappeler des relents de culte de la personnalité évoquant la période de Ben Ali.
En fin de compte, on peut percevoir le paysage politique tunisien d’une autre façon, et considérer qu’on ne peut pas seulement parler d’une droite et d’une gauche en Tunisie, mais aussi d’une infime minorité de militants audacieux capables de courir tous les dangers pour défendre leurs idées, et d’une majorité d’hommes politiques timorés, cultivant le principe d’inertie pour ne prendre aucun risque, donnant de la modération, telle qu’ils la conçoivent, une image plus négative que positive, ou de calculateurs politiques obnubilés par leurs intérêts personnels plutôt que par ceux du pays.
* Universitaire et écrivain.
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