Les nouvelles données publiées à Tunis hier, mercredi 17 juin 2020, par Oxfam montrent comment le système fiscal tunisien, en privilégiant les formes d’impôts les plus inéquitables, pénalise les classes moyennes et pauvres du pays, en plus de priver l’État de revenus importants.
Alors que la pandémie actuelle menace de frapper lourdement l’économie du pays, l’organisation propose une réforme ambitieuse de l’imposition et rappelle le gouvernement à son obligation de justice fiscale.
Bien que la pandémie de coronavirus ait jusqu’ici relativement épargné la Tunisie sur le plan sanitaire (50 morts), elle risque de paralyser des secteurs d’activité importants comme l’hôtellerie ou la restauration pendant des mois, plongeant de nombreuses familles dans la misère. À l’échelle de la région Afrique du Nord, la pandémie pourrait même entraîner un recul de 30 ans dans la lutte contre la pauvreté.
Mais cette crise représente aussi une occasion de repenser en profondeur notre modèle de société et de rompre pour de bon avec les politiques d’austérité et la détérioration continue des services publics qui ont caractérisé lors des dernières années les politiques gouvernementales.
Les réformes que suggère Oxfam dans son nouveau rapport «La justice fiscale, un vaccin contre l’austérité» ont pour but d’offrir à la population tunisienne la société équitable et les perspectives d’avenir qu’elle est en droit de revendiquer.
Des formes d’impôts injustes
«Notre constat est clair : tel qu’il est, le système fiscal tunisien protège les plus fortunés et fait peser sur le reste de la population une charge fiscale excessive», affirme Hela Gharbi, directrice d’Oxfam en Tunisie. Elle ajoute : «En matière d’impôt, le gouvernement a pourtant une obligation de justice à respecter, qui est énoncée dans la constitution de 2014. Tant que les impôts indirects, comme la TVA, seront privilégiés à des impôts directs tenant mieux compte des revenus, cette obligation sera bafouée.»
Le rapport, qui inaugure une vaste campagne d’Oxfam sur les inégalités dans le pays, détaille l’effet contre-productif de ces impôts sur la réalisation de la justice sociale.
Il pointe aussi le rapport de force de plus en plus déséquilibré entre entreprises et particuliers. On y apprend ainsi que la contribution des sociétés dans les recettes fiscales a chuté de près de 40% entre 2010 et 2018, alors que celle des ménages a augmenté de 10% sur la même période.
Malgré cela, la population ne bénéficie pas de meilleurs services. Entre 2011 et 2019, le rapport d’Oxfam indique une baisse des investissements dans deux services publics essentiels : l’éducation et la santé. Leurs parts respectives dans le budget de l’État sont passés respectivement de 26,6% à 17,7% pour l’éducation et de 6,6% à 5% pour la santé.
Une privatisation croissante
Ces statistiques se manifestent de manière concrète. En matière d’éducation, les inscriptions dans des écoles privées ont augmentées de 40% depuis 2010, alors que celles dans le système public ont baissé de 8%. Dans le secteur de la santé, les cliniques privées remplacent les hôpitaux publics, créant un système dans lequel la valeur d’une vie se mesure en dinars.
Entre 2014 et 2019, le nombre de lits dans les cliniques privées a ainsi augmenté de 85%, comparé à une augmentation de 6% dans les hôpitaux publics.
La pandémie actuelle a eu pour effet de mettre à nu cruellement ces inégalités causées par le désengagement de l’État.
Hosni, un tunisien âgé de 45 ans qui travaille dans le secteur de la construction à Sousse, en témoigne : «Je travaille en tant qu’électricien depuis l’âge de 15 ans. Je n’ai jamais songé travailler dans le formel jusqu’à l’arrivée de la pandémie du Coronavirus. Le virus a représenté un signal d’alarme pour tous les travailleurs dans l’informel. Je pense qu’il est temps que l’État se tourne vers nous et nous accorde plus de facilités pour nous inclure dans le secteur formel. Bénéficier des services publics, c’est une question de vie ou de mort dans ce pays».
De manière générale, le système fiscal tunisien est fortement imprégné par les politiques néolibérales prônées par les institutions financières internationales et mises en place à partir des années 1980. Le régime fiscal bénéficie ainsi plus aux plus fortunés et privilégie l’accumulation du capital au détriment du travail.
Pour repenser ce système inéquitable et répondre à la crise du coronavirus, Oxfam propose dans son rapport un ensemble de mesures de bon sens applicables par le gouvernement.
En voici quelques exemples :
•Instaurer un impôt progressif sur le patrimoine net des grandes fortunes afin de générer des revenus immédiats
•Diminuer le recours à la TVA et passer à un système de TVA à quatre taux, en rajoutant un taux élevé pour les produits de luxe afin de mieux cibler fiscalement la consommation des ménages aisés
•Annuler le service de dette publique pour au moins les deux ans a venir pour limiter la chute radicale des recettes publiques
•Lutter contre l’évasion fiscale en refusant tout soutien public à des entreprises qui la pratiquent
•Développer un système de protection sociale et universelle
La directrice d’Oxfam en Tunisie, Hela Gharbi et Nabil Abdo, conseiller politique senior sont disponibles pour des entrevues sur le sujet.
Source : communiqué.
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