Face aux assauts répétés d’Ennahdha, manœuvrant pour imposer son implacable domination sur la scène politique en Tunisie, c’est au président de la république, Kaïs Saïed, élu par 73% des Tunisiens, d’annoncer les arbitrages nécessaires avant qu’il ne soit trop tard et d’éviter à la Tunisie de sombrer dans le désordre et la violence, les deux principales marques de l’islam politique partout où il a gouverné.
Par Ridha Ben Slama *
Après la reptation, pratiquée durant des années, c’est le saut qui définit la prochaine étape. Ennahdha a trouvé son leitmotiv pour son prochain congrès : le «saut créateur». Il y aurait comme une profonde similitude entre ce «saut créateur» obscur et le fameux «chaos créateur» cher à George W. Bush et Condoleeza Rice, dont l’objectif est de déstabiliser et de fragmenter pour mieux contrôler. Mais, le membre du «conseil de la choura» qui vient de l’annoncer ne nous dit pas si c’est un saut en hauteur, un saut en longueur, un triple-saut, un saut dans le vide ou un saut dans le temps… du califat.
On ne saurait dire si c’est un bon choix que ce slogan sautillant et trépidant d’impatience pour s’emparer de tout. En fait, qui mieux que les sauterelles dans cet exercice-là, qui sautent probablement plus loin que tous les autres insectes ! Comme on sait parfaitement combien ces sauterelles d’un genre insolite sont voraces et responsables des dégâts infligés tout au long de cette décennie. Ce slogan utilisant le terme وَثْبَة en arabe, signifie aussi «bond», à savoir une brusque détente des membres inférieurs ou postérieurs… d’un animal pour attaquer.
Connaissant la nature violente de ce mouvement, on ne peut que s’attendre au pire. Tout un programme et cela promet !
La torpeur des milieux politiques tunisiens
Pour être plus explicite, que faut-il faire pour mettre au ban cette ramification d’une organisation transnationale violente, sectaire et extrémiste, celle des Frères musulmans, rejetée par quasiment tous les pays à cause de ses accointances avec le terrorisme et le mercenariat?
On oublie que nous disposons de l’article 7 de la Loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent qui précise : «Le tribunal prononce également l’interdiction à la personne morale d’exercer son activité pour une période maximale de cinq ans ou prononce sa dissolution. Sans préjudice de la poursuite des personnes morales, les peines prévues par la présente loi sont applicables à ses représentants, ses dirigeants, ses associés ou ses agents, si leur responsabilité personnelle ait été établie».
Par ailleurs, que faut-il faire pour bousculer la torpeur des milieux politiques tunisiens, de les placer devant leurs responsabilités, de les sommer de renoncer à cette indulgence apeurée chez les uns, insouciante chez les autres, mais trop souvent attentiste et lâche, pour refouler les agissements néfastes d’une nébuleuse, agissant au service d’entités étrangères ?
Inutile de remonter jusqu’au siècle dernier pour recenser les crimes et délits commis par les adeptes de cette confrérie et sa branche sécuritaire occulte, confirmés par des témoignages provenant des propres rangs d’Ennahdha (attentats dans deux hôtels à Sousse et Monastir les 2 et 3 août 1987, l’attentat perpétré, le 17 février 1991, dans une permanence du RCD, ex-parti au pouvoir, dans le quartier de Bab-Souika où deux gardiens avaient été aspergés d’essence et brûlés, l’un d’eux est mort et le second a échappé à la mort, mais il a été gravement brûlé, actes de vitriolage contre l’imam de la mosquée du Kram et contre un gardien de la paix de la région de Jendouba…)…
Un parti «protégé» par une justice aux ordres
Restons plutôt attentifs aux éléments à charge auxquels Ennahdha fait face depuis 2012 et qui sont incalculables. Pour condenser, il y a les assassinats de Chokri Belaïd (le 6 février 2013) et de Mohamed Brahmi (le 25 juillet 2013). Sept ans après, les juges n’ont pas remonté les filières pour établir définitivement qui étaient les commanditaires et les motifs de ces homicides.
Une autre affaire qui traîne dans les méandres de la Justice, celle d’une officine secrète en lien avec Ennahdha dirigée par Mustapha Kheder, un personnage interlope emprisonné depuis 2014, et ce malgré les différentes charges et les documents accablants retrouvés chez ce dernier.
Mohamed Jmour, membre du Collectif de défense de Belaid et Brahmi, avait accusé, dans une déclaration à TAP, «certaines parties, dont en premier lieu le procureur de la république (Béchir Akremi, Ndlr), de couvrir les crimes du mouvement Ennahdha». Le Collectif laisse par ailleurs entendre que certains juges seraient sous la coupe des islamistes depuis 2012. En outre, il y a les fortes présomptions concernant les responsables des relais actifs dans le recrutement des Tunisiens en partance pour la Syrie…
Actuellement, on constate des agissements hautement alarmants qui sont déclenchés, à un rythme accéléré par Ennahdha. «Neutraliser» les opposants au parti islamiste par des procédés abjects, qui n’ont rien à envier aux méthodes employées par le régime déchu. La machine à broyer est en marche à travers la fabrication de dossiers, de grossiers montages, salissant les plus indociles, entachant leur honneur avec des procès bidons dans une parodie de justice. Des tentatives répétées sont opérées pour assujettir les médias. Nous sommes vraiment à un tournant capital.
Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) vient de dénoncer, dans un discours prononcé lors d’un récent rassemblement à Sfax, la politique menée par un certain nombre de juges d’instruction dans plusieurs affaires, en particulier celles liées aux syndicalistes. «Nous vivons, dit-il, dans un État sous l’emprise du pouvoir judiciaire».
Manœuvres dilatoires et contre-feu pour faire diversion
D’un autre côté, des manœuvres tortueuses sont ourdies pour faire tomber la Cour Constitutionnelle (en gestation depuis 2015) dans leur escarcelle, afin de s’en servir pour peser sur la législation dans un sens rétrograde voulu et comme dispositif de chantage et d’intimidation de plusieurs instances et personnalités politiques, dont le président de la République…
Ces manœuvres sont accompagnées de contre-feu pour faire diversion et gagner du terrain. Ils créent des simulacres de sujets et des points de fixation «politiques» et tentent, vainement, de réduire l’ampleur de la pression populaire qui pèse sur eux et sur leurs instigateurs, dont une offensive sans précédent contre un chef du gouvernement qui, prétentieusement, a prêté le flanc. Ils ont sorti de leurs placards un personnage cotonneux et ramolli du temps de la Troïka pour persuader le chef du gouvernement de desserrer la ceinture politique de son cabinet. Ils veulent faire vite pour s’emparer à tout prix de toutes les commandes, pouvoir dissimuler leur responsabilité dans la faillite du pays afin de maintenir en place le même système boiteux qui leur assure protection et privilèges.
Toutes ces gesticulations, dans un climat délétère, sont des messages subliminaux qui tentent d’intimider tous les empêcheurs de tourner en rond et exercer des formes de chantage contre des cibles politiques.
Leurs visées sont multiples, escamoter les révélations concernant les indemnisations indûment accordées, les financements étrangers de leur parti et l’opacité du fonctionnement des associations caritatives, l’enrichissement du président de l’ARP, le président de leur parti, Rached Ghannouchi, ainsi que sa famille qui, selon Zubair Al-Shahoudi, un ancien secrétaire général de la confrérie en Tunisie, posséderaient une impressionnante fortune accumulée au cours de la dernière décennie, les liens suspects avec la Turquie et le Qatar et l’immixtion à répétition du président de l’Assemblée dans la politique étrangère tunisienne, en totale contradiction avec la ligne officielle…
Finalement, la balle est dans le camp du président de la république, Kaïs Saïed. Le temps lui est compté pour annoncer les arbitrages nécessaires avant qu’il ne soit trop tard, en donnant les réponses à la hauteur des aspirations des Tunisiens. Qu’il consulte les organisations nationales comme l’UGTT et l’UTICA, les quelques personnalités encore respectées. N’a-t-il pas asséné : «Que chacun se souvienne que l’État tunisien est un et indivisible, et qu’il n’y a qu’un seul et même président à l’intérieur et à l’étranger».
* Universitaire, écrivain et analyste politique.
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