Une pluie d’années de prison a déferlé sur la tête des accusés, dont deux anciens Premiers ministres et un homme d’affaires, pris dans les filets de l’opération «mains propres» déclenchée par les autorités.
Par Hassen Zenati
Après la cascade de milliards mal acquis révélée par l’instruction, le tribunal de Sidi M’Hammed à Alger, a infligé une pluie d’années de prison aux accusés dans un nouveau procès marathon de la corruption dans le cadre de l’opération «mains propres » lancée par les autorités.
Les deux anciens Premiers ministres de Abdelaziz Bouteflika, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, accusés d’avoir octroyé des avantages indus à l’homme d’affaires Mahieddine Takhout, se sont vu infliger dix ans de prison chacun, mais ont été acquittés de la charge de corruption.
Cette nouvelle condamnation porte à 60 ans le nombre d’années de peine infligées jusque-là à Ahmed Ouyahia, qui doit encore comparaître dans d’autres procès du même type. Cependant, la loi algérienne ne prévoyant pas de cumul des peines, c’est la condamnation la plus lourde qui sera retenue à l’exclusion de toutes les autres.
Deux anciens Premiers ministres et trois ministres sur le banc des accusés
L’ancien Premier ministre, qui a enregistré un record de durée passée à la tête du gouvernement au cours de vingt cinq dernières années, a révélé au tribunal qu’il souffrait d’un cancer depuis 2019. Il a été transféré à l’hôpital Mustapha, au milieu de rumeurs alarmantes, rapidement démenties, sur son état de santé. Il a été rejoint par son co-accusé Abdelmalek Sellal, qui a accumulé, lui aussi, un nombre important d’années de prison à expurger.
Le principal accusé dans ce procès, l’homme d’affaires Mahieddine Takhout, self-made man, a été condamné pour sa part à 16 ans de prison ferme et 8 millions de dinars d’amende, assortis de la saisie de tous ses biens. Quatre membres de sa famille, Hamid, Rachid, Nacer et Bilal ont écopé de 7 ans de prison ferme chacun, alors qu’un autre s’est vu infliger 3 ans de prison ferme. Leurs entreprises devront par ailleurs payer une amende de 32 millions de dinars et seront exclues pendant cinq ans de toute commande publique.
Deux ex-ministres Amar Ghoul et Youcef Yousfi de l’équipe Bouteflka ont été condamnés pour «mauvais usage» de leur fonction à respectivement à 7 ans de prison et 300.000 dinars d’amende et 2 ans de prison. Enfin l’ancien ministre de l’industrie Abdeslam Bouchoureb, en fuite à l’étranger, a été condamné par défaut à 20 ans de prison ferme, pour la quatrième fois consécutive – cumulant ainsi 80 ans de prison. Il fait l’objet par ailleurs d’un mandat d’arrêt international délivré par le tribunal.
Marchés publics de gré à gré et cahiers des charges «sur mesure»
Mahieddine Tahkout, poursuivi dans les affaires dites de «montage automobile» et de «contrats de transport universitaire», était à la tête d’un conglomérat disparate présent dans le transport par bus pour étudiants, la production de ciment, la distribution de gaz, l’agro-alimentaire, l’industrie pharmaceutique, l’industrie automobile, en plus de concessions agricoles acquises auprès de l’Etat. Il employait quelque 14.000 salariés et disposait de 3.300 bus pour le transport de 1,5 millions d’étudiants, dont il avait le monopole, selon l’accusation. Issu d’un quartier populaire et d’une famille modeste, parti de rien, selon ses dires, il avait appris le métier de commerçant aux côtés de son père, avant d’ouvrir une entreprise de fabrication de chaussures puis d’une entreprise de pièces détachées automobiles.
Pour sa défense Mahieddine Takhout a plaidé devant le tribunal n’avoir pris «aucun sou de crédit» et d’avoir investi sur fonds propres. «Je n’ai pris aucun sou de crédit auprès de l’Etat, ni de personne. Je n’ai fait aucune intervention, je ne me suis déplacé au bureau d’aucun responsable, et je n’ai été recommandé par personne», a-t-il dit. Récusant le qualificatif d’homme d’affaires utilisé par la presse, il s’est présenté comme «un investisseur, qui a tout réalisé sur ses fonds propres», et qui a ainsi investi plus de 1.200 milliards de centimes dans 38 départements. «Je le répète devant le tribunal et devant tout le peuple, si quelqu’un m’a donné un sou qu’il vienne le prouver. Il y a peut-être une autre personne qui a pris ces crédits en mon nom mais ce n’est pas moi».
Reconnaissant avoir obtenu des contrats de transport d’étudiants en étant seul à répondre à l’appel d’offres public, alors qu’il était attaqué pour avoir obtenu un cahier de charges «sur mesure», il contre-attaque en accusant son partenaire de ne pas s’être acquitté de sa dette envers lui, qu’il évalue à plus de 157 milliards de centimes.
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