Il a manqué 12 voix à la Tunisie. En effet, les 97 voix pour la destitution du président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le chef islamiste Rached Ghannouchi, n’ont pas suffi. Et quoi qu’en disent les perdants, il s’agit là d’une défaite lourde de conséquences pour le peuple tunisien.
Par Mounir Hanablia *
On ne prétendra pas comme l’avait fait le président du bloc parlementaire du parti Ennahdha, Noureddine Bhiri, que l’or des Emirats a coulé à flots lors de ce vote. Le procureur de la République n’a pas encore jugé utile d’ouvrir une information judiciaire sur le sujet, et la commission de discipline de l’ARP n’a pas pris les mesures nécessaires contre l’intéressé qui a mis en doute la probité de ses collègues, pas plus qu’il n’a été désavoué par les membres de son propre parti.
M. Bhiri au dessus des lois applicables au commun des Tunisiens
Jusqu’à preuve du contraire, il s’avère ainsi que M. Bhiri appartienne bel et bien au cercle restreint de ceux qui sont au dessus des lois applicables au commun des mortels dans le pays, ainsi que des règlements y qui régissent le fonctionnement des institutions ou des partis politiques.
Après cela, il demeure illusoire d’évoquer un quelconque triomphe de la démocratie, tant bien même depuis 6 années les partis politiques ne se seraient pas accommodés de l’inconstitutionnalité de l’exercice parlementaire, en l’absence de Cour Constitutionnelle.
Si donc le président d’Ennahda a échappé à la déchéance, alors que son parti ne dispose pas de plus de 20% des voix, et comme Al-Karama a choisi la neutralité, il faut en conclure qu’un certain nombre d’autres partis politiques ont choisi de ne pas cautionner la motion de censure. On pense donc d’abord en premier lieu évidemment au parti Qalb Tounès qui, indépendamment de tout, avait intérêt à ne pas aller aux élections anticipées, éventualité qui n’aurait pas manqué de se concrétiser si M. Ghannouchi avait été démis de ses fonctions.
En raisonnant par l’absurde, on peut supposer que si tel avait été le cas, le parti de M. Nabil Karoui, qui n’est pas en odeur de sainteté auprès du président de la république, n’aurait eu aucun intérêt à apporter son soutien au gouvernement de Hichem Mechichi, et ses membres, probablement bien cossus, n’auraient pas éprouvé le besoin de conserver leurs salaires de députés, et se seraient volontiers alignés sur leurs collègues d’Ennahdha et d’Al-Karama, en refusant de voter la confiance.
En digne héritier de Caïd Essebsi, Nabil Karoui dans le giron d’Ennahdha
Il ne faut pas l’oublier, M. Karoui fut l’un des témoins du fameux compromis historique de Paris entre Rached Ghannouchi et Beji Caid Essebsi. Il fut l’un des membres fondateurs du Nidaa, et il s’en est avéré le digne continuateur, dans l’alliance avec le parti islamiste, en trahissant ses électeurs, tout comme l’avait fait son mentor. L’alliance entre Nidaa et Ennahdha, poursuivie par le parti de M. Karoui, répond en réalité à la formule politique que la mondialisation estime la plus apte à préserver ses intérêts en Tunisie et dans le monde arabo-musulman, celle de neutraliser l’opposition islamiste en l’intégrant en partie ou en totalité à l’économie globale.
Le problème pour M. Karoui, après avoir installé M. Ghannouchi à la tête de l’ARP, est qu’il n’a jamais désavoué son allié quand celui-ci a commencé à jouer un jeu dangereux avec M. Erdogan, et ses protégés de Libye, en empiétant sur les plates-bandes du président Kais Saied.
Mais il n’y a pas que cela pour expliquer le rejet de la motion de destitution. Il y a aussi tous ceux parmi les députés qui pour différentes raisons, comme celles ayant trait à leur crainte d’élections anticipées, ou bien encore au passé politique lié à Ben Ali de Mme Moussi, ou bien à l’antipathie ou à la jalousie qu’elle inspire, préfèrent voir encore M. Ghannouchi régner, plutôt que le blackbouler de son piédestal, le mérite en étant attribué à son irréductible ennemie.
Une défaite lourde de conséquences pour le peuple tunisien
À l’arrivée, le résultat est néanmoins là; en dépit des bulletins rejetés, au nombre de 18, sur lesquels on préfère ne pas faire de commentaires, la majorité de l’ARP n’a pas jugé utile de démettre son président de ses fonctions, et malgré ses déclarations rassurantes relativement au soutien du futur gouvernement, et à son profil bas, il s’agit d’une défaite lourde de conséquences pour le peuple tunisien.
En effet, M. Ghannouchi s’est bien engagé à modifier sa manière de présider l’ARP, mais il ne s’est encore jamais excusé de ses relations ténébreuses avec l’étranger, qui ont déclenché en grande partie la défiance de ses collègues, il ne s’est pas engagé à en informer pleinement à l’avenir le président de la république, ni à s’abstenir de toute modification significative de la politique étrangère du pays ou de ses alliances stratégiques, en cas de vacance soudaine de la présidence, dont, du fait de ses fonctions, il lui reviendrait d’assurer provisoirement l’intérim.
Evidemment ces questions se poseraient à fortiori pour tout futur président élu issu en particulier du parti Ennahdha ou de ceux qui lui sont idéologiquement apparentés, dont la propension à modifier les alliances du pays d’une manière déraisonnable et aventureuse, ainsi qu’a tenté de le faire M. Ghannouchi, peuvent avoir des conséquences redoutables. Le président de l’ARP a certes sauvé sa tête, mais le pays n’a pas fini de préserver la sienne.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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