Walid Zidi n’est plus ministre, je peux donc sans risques dire du bien de lui. L’éphémère ministre des Affaires culturelles, entré fin août 2020 au premier gouvernement de Hichem Mechichi et démis un mois plus tard, début octobre, pose par son profil et son style un certain nombre de questions qui s’avèrent pertinentes dans une situation où nos représentants et nos dirigeants patentés, les professionnels de la politique, sont souvent décriés par les bases mêmes qui les élisent régulièrement.
Par Mehdi Jendoubi *
Ceux qui ont proposé son nom et ont soutenu sa candidature au poste de ministre affirment un certain nombre de valeurs : c’est un jeune qui a su surmonter les épreuves de la vie et transformer son handicap en succès universitaire. Quelle belle leçon d’espoir à l’adresse de la jeunesse de notre pays et quel geste à portée symbolique pour tous ceux que la vie a privés de vue ou de motricité ou de toute autre ressource !
Une valeur morale affirmée chasse une autre plus conventionnelle. Ce n’est pas son militantisme contre l’ancien régime, transformé en fonds de commerce d’une grande efficacité pour l’accès aux responsabilités, qui a amené monsieur Zidi à son poste, ni son appartenance partisane, ni sa fortune personnelle, ni un soutien de grande famille ou une implantation régionale ou tribale. Ces ancrages sociopolitiques sont le vrai background de très nombreuses carrières, dont les détenteurs sont hissés aux postes les plus importants pour décider de notre sort. Ils n’opèrent pas uniquement en Tunisie et sont le lot commun de la politique.
Renouvellement problématique de la classe politique
Depuis dix ans, la Tunisie a vécu une vraie mutation de sa classe politique jamais connue depuis l’indépendance, ceux qui ont longtemps été marginalisés par l’ancien système et qui peuplaient les prisons et les exodes, ou ceux dont les carrières ont été brisées pour velléité d’indépendance ou pour appartenance syndicale, ont obtenu, après 2011, de réelles opportunités dans les nombreux gouvernements de la deuxième république ou dans les multiples organismes de haut niveau de l’Etat.
Mais il n’est pas exagéré de dire que ce renouvellement de la classe politique reste problématique à plusieurs égards. Si le parti unique de fait au pouvoir a disparu en 2011, l’appartenance partisane comme critère de recrutement reste par contre prédominante. Elle présente des limites aussi en terme qualitatifs : faible représentation des femmes, des jeunes, et des minorités. Sur le plan des spécialités une surreprésentation de certaines professions juridiques et une sous-représentation d’une large panoplie de spécialités et en particulier des sciences sociales et humaines.
Nul ne conteste en Tunisie les modes d’accès aux postes électifs. La révolution a mis au point les structures efficaces qui garantissent le sérieux et l’honnêteté globale des élections, même si des critiques partielles sur le rôle de l’argent dans l’influence des électeurs sont avancées systématiquement, comme cela est d’ailleurs le cas dans bien d’autres pays. Mais de multiples postes de haut niveau sont octroyés de manière nominative, et cette question devrait faire l’objet d’un débat critique sur les qualités et les critères et les processus de nomination.
De fait les PDG des entreprises nationales, les directeurs généraux, les gouverneurs et délégués peuvent être bien plus puissants et efficaces et en prise directe avec les réalités du pays, que certains ministres ou élus.
Quels profils de responsables sont nécessaires à la Tunisie ?
Le passage éphémère au ministère des Affaires culturelles de M. Zidi pourrait devenir une occasion pour ouvrir un dossier qui ne manque pas d’importance : quels profils de responsables sont nécessaires à notre pays, quelles valeurs, quelles compétences et quel style de pouvoir? Quelles formations complémentaires sont-elles nécessaires aux élites détentrices d’une panoplie de spécialités universitaires, mais incompétentes en terme d’exercice du pouvoir et de gestion de l’Etat ? M. Zidi a amené à la politique une certaine fraîcheur, mais son manque de professionnalisme politique et sa méconnaissance de la langue de bois lui ont coûté son poste.
La politique a besoin de valeurs pour se renouveler et obtenir l’adhésion des citoyens et doit donc s’ouvrir aux détenteurs de ces valeurs et les intégrer, mais les personnes qui incarnent ces valeurs sont souvent apolitiques ou incultes en habitus politique et le savoir-faire spécifique particulièrement en termes de communication politique leur manque, ce qui leur joue de sales tours et les pousse vers la sortie du système. Un vrai paradoxe à résoudre.
M. Zidi, une vraie étoile filante dans le ciel grisonnant de cette Tunisie en apprentissage démocratique.
* Universitaire (jendoubimehdi@yahoo.fr)
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