Dix ans après la Révolution du Jasmin en Tunisie, les nouvelles générations arabes n’accepteront plus jamais la dictature. Il est vrai que la liberté n’a pas totalement triomphé, mais elle a réussi à s’inscrire durablement à l’horizon, et plus personne ne pourra l’en effacer.
Par Lluís Bassets
L’incendie a pris très rapidement naissance en Tunisie. Mohamed Bouazizi s’est immolé le 17 décembre: Ben Ali est tombé le 14 janvier. C’était la Révolution du Jasmin, immédiatement admirée mais dans le même temps redoutée par le monde entier, en raison non seulement de son caractère fulgurant et pacifique, mais aussi par l’efficacité des réseaux sociaux et le rôle joué par Wikileaks dans la dénonciation de la corruption dévastatrice du régime tunisien et des régimes arabes.
«L’Égypte n’est pas la Tunisie», a tonné Hosni Moubarak; il ne savait pas qu’il était le prochain à tomber sur la liste. Toujours prudente, la Chine a procédé à l’arrachage des plants de jasmin – symbole tunisien par excellence – de tous les jardins publics. L’exemplarité de la révolution tunisienne a inspiré jusqu’au Mouvement des Indignés 15-M (15 Mars 2011) en Espagne qui ne vivait pourtant pas sous la domination d’une dictature.
Les mouvements de protestation font tâche d’huile
Le printemps venait de commencer. Après la Tunisie et l’Égypte, tombèrent violemment les dictateurs du Yémen et de la Libye. Au Bahreïn les protestations furent réprimées dans le sang. En Syrie, Bachar Al-Assad déclenche la guerre civile, qui commémore au mois de mars prochain son tragique dixième anniversaire. Les mouvements de protestation d’une ampleur inquiétante parfois font tâche d’huile à travers toute la géographie arabe. En même temps que s’organise la contre-révolution menée par l’Arabie Saoudite, superpuissance centrale du bloc réactionnaire, qui intervint militairement au Bahreïn remplissant la même fonction que celle de l’Union Soviétique lors de son intervention en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968; non sans avoir pris dans ses bagage l’arrosoir des billets toujours prêt à l’emploi des opulents régimes pétroliers pour prodiguer les aides sociales; des timides ouvertures démocratiques sont opérées également comme au Maroc.
Dix ans plus tard, plus personne ne doute de la victoire de la contre-révolution. En Tunisie, la démocratie a été réduite à la portion congrue. Les expériences de l’islam politique au pouvoir ont été stoppées par les urnes. En Égypte les Frères musulmans au pouvoir ont été sauvagement rayés de la carte par les militaires. En Turquie, l’espoir d’une démocratie pluraliste islamiste intégrée à l’Europe est parti en fumée. Il n’y qu’en Tunisie, que les islamistes entrent et sortent du gouvernement comme n’importe quel autre parti.
Que nous reste-t-il de ce printemps ?
Washington a échoué dans toutes les variantes de sa politique étrangère. À commencer par les guerres de Bush, la démocratisation d’Obama et aujourd’hui, le repli désordonné de Trump qui délégua des responsabilités géopolitiques à la nouvelle coalition montée par les Saoudiens, les Émiratis et les Israéliens, contre la Turquie et l’Iran. Les monarchies absolues ont triomphé.
De ce printemps nous reste, malgré tout, une gloire certaine. Il y avait en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen quatre despotes corrompus et cruels qui préparaient une succession dynastique. Ils voulaient assoir des dynasties sur le modèle de celles des cheikhs des tribus de la Péninsule arabique, devenus monarques, et pour l’heure amis proches de Trump. Les nouvelles générations arabes n’accepteront plus jamais cela. Il est vrai que la liberté n’a pas totalement triomphé, mais elle a réussi à s’inscrire durablement à l’horizon, et plus personne ne pourra l’en effacer.
El País, 24 décembre 2020. Traduit de l’espagnol par Abdellatif Ben Salem
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