Parmi les raisons plombant ou dissuadant toute initiative privée des jeunes en quête d’un premier emploi dans l’industrie, le commerce, les services, l’agriculture ou le secteur tertiaire, il y a l’usurpation de tous les rouages économiques et administratifs par une trentaine de grands rentiers qui ne paient pas d’impôts, ne remboursent pas toujours leurs crédits et n’emploient pas beaucoup de salariés.
Par Mohamed Rebai *
Ce n’est pas moi qui le dit c’est l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini qui a largement critiqué, en juillet 2019, «les positions d’ententes et de monopoles» qui entravent une transition économique aujourd’hui à la traîne par rapport à la transition politique, ajoutant que les autorités tunisiennes sont placées devant un seul choix : soit elles comprennent qu’il faut faire évoluer un modèle économique faisant la part trop belle aux positions monopolistiques, soit elles ne le comprennent pas et, dans ce cas, oui, il y aura une inquiétude.
Tout concourt à désespérer les jeunes talents
L’ambassadeur européen a pointé du doigt certains groupes familiaux qui n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent. Il donne l’exemple de l’huile d’olive dont l’exportation est entièrement monopolisée par une poignée de grossistes spéculateurs. Il a parlé également des informaticiens qui, face à cette situation peu propice à l’épanouissement des talents, préfèrent partir louer leurs services dans des pays étrangers (brain drain).
Ces déclarations de M. Bergamini lui ont valu, on l’imagine, un lynchage médiatique de la part de certains opérateurs et responsables locaux, dénonçant une ingérence insupportable, alors que le problème que le Français évoque se répercute négativement sur les relations économiques entre la Tunisie et… l’Union européenne qu’il représente dans notre pays !
Mahatir Mohamed, qui a occupé à deux reprises le fauteuil de Premier ministre de Malaisie pendant une durée cumulée de 24 ans (1981-2003 et 2018-2020) et qui a placé son pays parmi les grands de ce monde avait le mérite de faire glacer le sang des hommes d’affaires qui contrôlent la majeure partie de l’économie de son pays. Il avait fixé, sous son règne, des limites à chacun d’eux pour laisser le champ libre aux jeunes qui veulent s’épanouir. Le résultat a été excellent et a même dépassé ses attentes.
Ce n’est malheureusement pas le cas en Tunisie où une trentaine de familles vivent d’une économie de rente, souvent soumise à autorisation administrative, dans presque tous les domaines d’activité. Les jeunes qui veulent percer dans le métier vont vite déchanter par des complications administratives, des obstacles bureaucratiques et parfois même un redressement fiscal télé-commandité par un requin de la place.
Une poignée de rentiers dominent l’économie nationale
Ces gros pontes siphonnent les richesses du pays pour bénéficier des revenus qu’ils en tirent et en placent une partie en Occident ou dans les paradis fiscaux. Oui, les oligarques tunisiens ont appris aussi à le faire au même titre que les anciens apparatchiks russes.
Qu’est ce qu’ils font de tout leur argent ? Participent-ils vraiment à l’effort de développement des zones déshéritées ? On en a peu d’exemples. Pire encore, ces familles qui dominent l’économie tunisienne assurent leurs arrières en contrôlant, directement ou indirectement, la vie politique du pays, en soudoyant financièrement les dirigeants des partis les plus puissants. Ils constituent ainsi, au gré des régimes et des gouvernements qui se succèdent, une caste puissante et intouchable. Quant à la justice sociale, économique et climatique, dont on nous rebat toujours les oreilles, il faut repasser ! J’en ai rêvé un jour, quand j’étais à l’université, et j’en rêve encore.
* Economiste à la retraite.
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