Commentant le discours de Kaïs Saïed du 18 janvier 2021 à l’occasion du 65e anniversaire de la création des forces de sécurité intérieures, où ses griefs contre le chef de gouvernement Hichem Mechichi et contre les soutiens de ce dernier à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à savoir le parti islamiste Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama, un ami m’a affirmé que le président la république serait en train de préparer un coup de maître contre ses adversaires politiques.
Par Imed Bahri
La campagne d’insultes que ses adversaires mènent, depuis quelques jours, contre Kaïs Saïed traduit la peur que cet homme intègre, incorruptible, inflexible et droit dans ses bottes leur inspire. C’est carrément la panique dans l’entourage de Rached Ghannouchi, où l’on crie au coup d’Etat dont les islamistes et leurs obligés sont les seuls à voir les signes avant-coureurs. Certains d’entre eux agitent même, sans craindre le ridicule, des mots comme autoritarisme voire dictature, feignant d’oublier qu’ils parlent d’un chef d’Etat dont la seule arme est… la Constitution, qu’il interprète, il est vrai, de manière à élargir les prérogatives présidentielles, rendues trop minces par la loi fondamentale de 2014.
Saïed affûte ses arguments et prend le peuple à témoin
Pour revenir à mon ami, il m’a écrit ceci : «Je reste persuadé que le président de la république attend le mois de juin et l’effondrement annoncé de l’économie tunisienne, après l’échec des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’Union européenne (UE), et l’obligation pour la Tunisie de rembourser les prêts qu’elle a contractés au cours des années précédentes et dilapidés dans des augmentations salariales, pour provoquer un choc politique. En ce moment, il y va crescendo avant d’abattre ses cartes. Il y va en prenant le peuple à témoin… et en préparant les amis, les partenaires et les créanciers.»
Il reste bien sûr à déterminer ce que mon ami entend par un «choc politique» que M. Saïed serait amené à provoquer, sachant que la marge de manœuvre constitutionnelle du président de la république est très réduite et que ce dernier, ancien professeur de droit constitutionnel, est très attaché au respect du texte et de l’esprit de la Constitution, même s’il est souvent porté à l’interprétation des textes de lois et ne manque pas de ressources dans ce domaine.
Ce «choc politique» serait-ce la dissolution de l’Assemblée et l’appel à des élections législatives anticipées ? Le coup aurait certes jouable et même souhaitable, si M. Saïed, que les sondages d’opinion donnent encore en tête des intentions de vote pour la présidentielle si elle devait avoir lieu demain, et très loin devant Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), disposait d’une force politique capable de remporter la majorité au parlement. Or, non seulement il n’a pas de parti derrière lui pour soutenir sa démarche, mais il risque de voir le parti de Mme Moussi gagner les élections, et, on le sait, le courant avec Mme Moussi ne passe pas mieux qu’avec les autres acteurs politiques.
Le scénario du pire ou la radicalisation d’Ennahdha
Sur un autre plan, le tremblement de terre politique que la dissolution de l’Assemblée ne manquerait pas de provoquer en Tunisie, un pays au bord de la banqueroute, aura également un retentissement sur les plans régional et international, et il n’est pas dit que les amis, partenaires et éventuels bailleurs fonds de notre pays en apprécieraient les conséquences.
Cela dit, il ne faut pas non plus négliger le scénario du pire, à savoir une radicalisation d’Ennahdha, dont plusieurs dirigeants sont impliqués dans des affaires en cours d’instruction et qui refusent de quitter les coulisses du pouvoir (l’Assemblée et le gouvernement étant pour eux d’excellents postes d’observation et de… manipulation) au risque de devoir rendre des comptes.
S’il devait perdre les législatives, les islamistes sortiraient de leur posture de fausse modération ou de démocratie de façade, pour lâcher la bride à leurs extrémistes, tapis dans l’ombre et prêts à passer à la violence armée, comme ils l’ont démontré en 2013, avec deux assassinats politiques à la clé, ceux des dirigeants de gauche Chokri Belaid et Mohamed Brahmi.
D’ailleurs, les dirigeants islamistes ne ratent aucune occasion pour agiter la menace de la «guerre civile», comme pour prévenir leurs adversaires et les avertir qu’ils se sont préparés au pire.
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