De l’entretien du président de la république Kaïs Saïed, mercredi 26 mai 2021, au palais de Carthage, avec le chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur par intérim, Hichem Mechichi, et le ministre de la Défense nationale, Brahim Bartagi, on retiendra, surtout, l’insistance du chef de l’Etat sur l’importance de l’application de la loi, dans ce qui sonne comme un reproche – et le mot est faible – fait à M. Mechichi, mais pas seulement.
Par Imed Bahri
Dans une vidéo de cet entretien diffusée par la présidence de la République, Saied a répondu au soi-disant document divulgué par des médias évoquant un projet de «coup d’État constitutionnel» dont il serait l’instigateur et qui se baserait sur l’article 80 de la Constitution, en affirmant qu’il n’appelait en aucun cas à déroger aux règles de la légitimité. «La situation dans le pays correspond exactement aux stipulations de l’article 80 de la Constitution et nous sommes bien en état d’urgence, alors que le coup d’État est une déviation de la légitimité. On ne peut donc pas parler d’un coup d’État constitutionnel. Le coup d’État est planifié contre la légitimité, et ce n’est pas le cas ici», a-t-il expliqué.
Les relations internationales sont le domaine régalien du chef de l’Etat
Le chef de l’Etat a aussi appelé à ce qu’il a appelé «la complémentarité entre les institutions de l’Etat, dans le cadre d’un Etat unique et d’une diplomatie unique, indépendamment des divergences d’opinion», car, a-t-il ajouté, «les institutions de l’Etat doivent travailler en étroite coordination», reprochant ainsi, à demi-mot mais assez clairement, au chef du gouvernement, d’avoir effectué sa visite officielle en Libye, cette semaine, sans concertation et sans coordination avec la présidence de la république ni le ministère des Affaires étrangères, sachant que la diplomatie fait partie des domaines régaliens du chef de l’Etat.
Personne n’est au-dessus des lois de la république
Saied a également appelé le pouvoir judiciaire à jouer son rôle à la lumière de la situation difficile prévalant dans le pays. Le bureau du procureur doit agir de sa propre initiative lorsqu’il s’agit d’une affaire portant atteinte à l’État et à ses institutions, a-t-il déclaré, par allusion au mandat d’arrêt émis par la justice militaire à l’encontre du député Rached Khiari et non exécuté par le gouvernement, étant entendu que c’est le ministère de l’Intérieur, dirigé par M. Mechichi, qui est censé faire appliquer ce genre de décisions judiciaires par la force publique, sans calculs politiciens.
M. Khiari, qui s’était attaqué au président Saïed dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, l’accusant de haute trahison et d’avoir émargé sur les services de renseignement américains pour financer sa campagne électorale, tout en affirmant disposer des preuves à l’appui de ses dires, devait être entendu par la justice militaire à ce propos. Or, depuis sa convocation par le juge militaire, il est entré dans une semi clandestinité, se cachant et apparaissant à sa guise, faisant valoir son immunité parlementaire et profitant de l’indulgence voire de la protection spéciale dont il bénéficie de la part du président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, et du chef du gouvernement.
Le parquet militaire, qui avait émis le mandat d’arrêt contre le député, doit mener à bien sa mission, a également souligné Saied, affirmant que le parquet était en mesure d faire exécuter le mandat en un temps record, or il ne l’a pas fait, car il en a été empêché.
L’Etat, a dit Saïed, ne consacre pas ses institutions au règlement des comptes mais plutôt au respect de la loi, qui reste la seule référence, accusant à demi-mot le tandem Ghannouchi-Mechichi d’utiliser les dossiers judiciaires comme un moyen de marchandage politique. «Celui qui demande d’appliquer la loi commence par lui-même», a-t-il lancé.
Protecteurs de l’Etat de droit ou «association de malfaiteurs» ?
La situation décrite par le chef de l’Etat a quelque chose de surréaliste et de concasse, or, elle est d’une extrême gravité car elle met en jeu la sécurité même de l’Etat, comme l’a souligné M. Saïed, dans un reproche limpide au tandem Ghannouchi-Mechichi, qu’il aurait bien pu accuser d’«association de malfaiteurs». Et pour cause…
Le ministère de la Justice a déposé vingt-cinq plaintes contre des élus au parlement, a aussi rappelé, dans ce même contexte, M. Saïed, déplorant le fait que le parlement n’ait pas encore examiné ou soumis ces plaintes à la session plénière. Au parlement, il y a des députés pris en flagrant délit et d’autres sont en fuite, a-t-il rappelé, en déplorant que le parlement n’ait pas cru devoir appliquer la loi contre les parlementaires poursuivis en justice, dont certains sont accusés de détournement de fonds, de trafic de drogue et de fraudes diverses.
Ces cas doivent être soulevés et la population doit être informée en cas de rejet de la levée de l’immunité politique, a souligné M. Saïed, appelant ainsi les députés à assumer leurs responsabilités et à jouer leur rôle dans la préservation des institutions de l’Etat, a soutenu le chef de l’Etat, car cette situation est désormais préjudiciable à l’Etat tunisien.
En protégeant les députés poursuivis dans des affaires judiciaires et en leur assurant l’impunité au nom de l’«immunité parlementaire», on transforme l’Assemblée en un antre de bandits de grands chemins. C’est le sens du message transmis hier par le chef de l’Etat au tandem Ghannouchi-Mechichi, qui est en train de dévoyer les institutions de l’Etat et de mettre en péril leur pérennité et leur crédibilité.
Articles liés:
Kaïs Saïed, les islamistes et le faux projet de «coup d’Etat constitutionnel»
Neji Jmal : «Rached Khiari ne peut être arrêté sans l’accord de l’Assemblée»
Donnez votre avis