Le professeur Sabah Mzabi Regaya, ancienne cheffe de service d’anatomo-pathologie de l’hôpital Mongi Slim, à la Marsa, s’est éteinte. Elle était pour ses étudiants et pour tous ceux qui l’ont connue un modèle, une sorte de mentor et une source d’inspiration, sur les plans professionnel et humain.
Par Dr Aïda Ayadi *
Je ne pensais pas qu’un jour, allait m’échoir le triste privilège de retracer l’itinéraire et de rendre un hommage funèbre à mon maître, une femme de conviction et de cœur, au nom de ceux qui l’ont connue. Sa disparition, voilà maintenant déjà 40 jours, a provoqué en nous un immense choc et un profond chagrin.
C’est avec une grande tristesse et une grande émotion que j’évoque la mémoire d’une femme pour qui j’ai un grand respect, une admiration et une grande reconnaissance.
Un parcours scientifique exceptionnel
Le professeur Sabah Mzabi, dont la famille est originaire de Sousse, a vu le jour le 18 octobre 1951 à Tunis. Elle a effectué ses études primaires au Lycée de Jeunes filles, Rue de Russie à Tunis, de 1957 à 1963, puis ses études secondaires au Lycée Carnot de 1963 à 1971.
Elle a effectué ses études médicales à la Faculté de médecine de Tunis de 1972 à 1977. Ses stages internés se sont déroulés dans différentes spécialités avec nos maîtres feu les professeurs Mongi Ben Hamida (neurologie), Ali Kaabi (cardiologie), Hédi M’Henni (pédiatrie) et Mohamed Boussen (hématologie).
En juin 1980, elle a été reçue au concours de résidanat, classée 18e, et elle a opté pour l’anatomie pathologique.
Ses premiers stages se sont déroulés à l’hôpital Habib Thameur avec feu le professeur Mahmoud Hafsia puis à l’hôpital Charles-Nicolle avec le professeur Sara Ben Jilani et enfin à l’Institut Pasteur avec feu le professeur Amor Chadli. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en médecine le 18 avril 1981, présidée par feu le professeur Béchir Hamza.
Parallèlement, elle a entamé en 1981, des études pour le certificat d’études supérieures (CES) d’anatomie pathologique à la faculté Pierre et Marie-Curie à Paris, couronnées par l’obtention du diplôme de fin de CES en juillet 1985.
En 1984, elle a été reçue à l’examen de fin de spécialité (classée 1ère) et au concours d’assistanat (classée 1ère). Elle a accompli son assistanat à l’hôpital Charles-Nicolle à partir de 1984, puis en 1985 à l’Institut Pasteur.
Une battante qui ne se plaignait jamais
En 1985-1986, alors qu’elle n’avait que 34 ans, le diagnostic d’un lymphome gastrique fait basculer son existence, suite auquel elle a dû subir une gastrectomie totale suivie d’une chimiothérapie. C’était une battante qui a vaincu un cancer et qui ne se plaignait jamais même lorsqu’elle était au plus mal.
En 1989, elle a été mutée à sa demande à l’hôpital Mongi Slim. Elle a exercé provisoirement à l’hôpital Charles-Nicolle, tout en assurant la mise à pied du laboratoire d’anatomie pathologique de l’hôpital de la Marsa.
En 1991, elle s’est présentée au concours de médicat des hôpitaux, puis la même année au concours d’agrégation auquel elle a été reçue (classée 2ème) pour la Faculté de médecine de Sfax. Là, elle a exercé ses fonctions hospitalières pendant 6 mois et universitaires pendant 2 ans, puis elle a muté en 1992 au CHU Mongi Slim.
L’année 1991 est marquée par l’ouverture du service d’anatomie pathologique de l’hôpital Mongi Slim, et elle est nommée chef de Service en 1993, reconduite en 1998. De 1990 à 1994, elle a assuré seule les activités hospitalières du service d’anatomie pathologique de l’hôpital Mongi Slim, avant d’enrichir progressivement son équipe médicale.
Elle s’est beaucoup intéressée aux cancers du col de l’utérus, à la foetopathologie, à la pathologie hépatique et à la pathologie cardiaque. Le développement de la biologie moléculaire du cancer colorectal a suscité son intérêt et l’a motivé à créer une unité de recherche sur cette pathologie en 2004. Avec méthode et intelligence, elle a progressivement introduit dans son service les techniques d’immunohistochimie et de biologie moléculaire.
Elle a été membre du Comité de transplantation hépatique à l’hôpital Mongi Slim, ce qui a motivé son stage de perfectionnement dans un service spécialisé de l’hôpital Paul Brousse à Paris, afin d’étudier toutes les causes de rejet aigus et chroniques et la pathologie du greffon hépatique après transplantation. L’hôpital Mongi Slim était devenu la référence pour la greffe hépatique en Tunisie grâce à son ami, feu le Pr Mohamed Tahar Khalfallah, qui était chef de service de chirurgie générale et viscérale dans cet hôpital, un imminent chirurgien et pédagogue, pionnier de la transplantation hépatique en Tunisie. Des staffs de confrontation mensuels étaient organisés entre les deux services, dans la jovialité et la bonne humeur. Puisque j’ai eu le privilège d’assister à ces staffs pendant deux ans de mon résidanat passés à l’hôpital Mongi Slim, je me rappelle qu’on transportait à chaque fois le grand microscope dans la salle de staff du service de chirurgie, afin de projeter en direct les cas présentés, et c’était très instructif.
En 1996, elle est élue coordinateur de section d’anatomie pathologique à la Faculté de médecine de Tunis, puis réélue en 1999. Pendant cette période, parallèlement aux activités de la section, elle a participé à un réaménagement des locaux de la section à la Faculté, épaulée par le Pr Med Samir Boubaker, chef de service d’anatomie pathologique à l’Institut Pasteur, chef du département des sciences de base B à cette époque, avec qui elle avait des liens forts d’amitié et de fraternité.
Le devoir de transmette son savoir
En 1999, elle obtint le titre de professeur en anatomie pathologique. Elle attachait une grande importance à l’enseignement, notamment à la Faculté de médecine, dans son service à l’hôpital Mongi Slim mais aussi en participant aux congrès nationaux et internationaux.
Elle est restée reconnaissante aux préceptes de ses maîtres et pensait que c’était pour elle un devoir que de transmette son savoir. Fidèle, elle l’était à son maître feu le Pr Amor Chadli, pour lequel elle avait une grande estime et dont elle parlait toujours avec respect et amitié, fière d’avoir été son élève.
Son long et riche parcours en tant que cheffe de service d’Anatomie pathologique à l’hôpital Mongi Slim a été marqué par sa gentillesse, son esprit d’équipe, sa sympathie, sa modestie et ses liens constructifs avec ses élèves et tout le personnel.
Elle s’est aussi investie dans les activités associatives et humanitaires inhérentes à son domaine. De 1989 à 1993, elle a été membre actif de l’Association tunisienne de lutte contre le cancer (ATLCC) et a contribué au dépistage systématique du cancer du col de l’utérus et a participé aux séminaires de formation.
Débordant le cadre de sa spécialité, elle a été membre du comité directeur de l’Association pour la protection des psychotiques et des autistes infantiles (Appai), chargée des relations avec les organisations nationales et internationales et ce depuis juin 1995 jusqu’à 2016. A travers son travail pour cette association, elle a pu démontrer sa générosité et son amour pour les enfants.
Le professeur Sabah Mzabi a été rappelé à Dieu le 11 août 2021. Cette disparition précoce et cette réalité déchirante nous laisse face à un vide immense et une perte majeure notamment pour son époux et ses enfants.
Professeur Sabah Mzabi était ma tante maternelle, mais ce qui nous liait allait bien au-delà des liens de sang, c’étaient des liens indestructibles d’amour et d’amitié. Elle a toujours gardé devant les épreuves imposées par les hommes et la destinée, un courage, une sérénité, un optimisme, qui ont fait mon admiration. «Benty» (ma fille), c’est comme cela qu’elle m’appelait. En évoquant sa mémoire, se mêlent en moi des sentiments contradictoires de tristesse, car cela me rappelle qu’elle n’est plus là, mais aussi de joie car l’image qu’elle me laisse est celle du bonheur et de la joie de vivre. Elle a accompagné avec compétence et bienveillance toutes les étapes de ma formation en anatomie pathologique, et a été pour moi comme pour tous ses élèves un exemple, un guide et un maître, dans tous les sens du terme. Lui ressembler est le plus beau compliment que l’on puisse me faire. Et comme a dit Victor Hugo: «Tu n’es plus là, mais tu es partout là où je suis».
La femme et le médecin, deux siamois unis avec un seul cœur
En elle il y avait à la fois la femme et le médecin comme deux siamois unis avec un seul cœur immense et ouvert, débordant de douceur et de gentillesse. La femme, mère de deux enfants, deux jeunes hommes, et grand-mère de trois petits garçons, aimante et attentive, a fait de l’amour de sa famille l’essence de sa vie. Interlocutrice privilégiée au sein de sa famille dont elle était l’un des piliers, elle était la confidente de chacun, celle que l’on consultait aussi bien pour les décisions importantes que pour les petits soucis du quotidien. Le médecin a réussi un parcours magnifique, porté par une force de travail et une intelligence exceptionnelle.
Elle qui savait susciter des amitiés profondes et inaltérables, elle était profondément fidèle aux serments d’amitiés. Elle a su créer autour d’elle et de son idéal un cercle de fraternité d’amis d’horizons divers.
Il est dit qu’un homme ne meurt vraiment que quand le dernier souvenir de lui s’éteint. De par sa bonté, sa douceur, sa camaraderie et son bon cœur, chaque collègue, ami et membre de sa famille garde en lui une parcelle d’elle, une flamme d’amour et de bienfaisance qu’elle nous a tous transmise qui font que son souvenir restera éternel et quelle restera à jamais vivante dans nos cœurs.
Que Dieu le Tout-Puissant lui accorde Son infinie Miséricorde et l’accueille dans son éternel Paradis.
Fière d’avoir été l’une de vos élèves
Adieu mère, adieu madame et cher maître, adieu mon amie.
* Professeur en anatomie pathologique à hôpital Abderrahmen Mami – Ariana.
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