C’est un Kaïs Saïed en colère et excédé qui a parlé, lundi 4 octobre 2021, au président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) Youssef Boukhazer, et à juste titre. Ce qu’il a dit est une allusion claire au système islamo-affairiste de la décennie passée et aux dossiers politico-financiers qui tardent à être ouverts et traités, même après l’annonce par la présidence de la république des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier et l’accueil populaire massif de ces mesures.
Par Imed Bahri
Les grandes affaires de corruption, notamment celles impliquant des hommes politiques, des médias audio-visuels opérant toujours illégalement et dont le financement reste occulte, du terrorisme, des réseaux d’envoi de jihadistes en Syrie et d’autres encore sommeillent dans les méandres d’une justice laxiste sinon franchement complaisante et complice. Sinon, comment expliquer qu’aucun de ces dossiers brûlants n’ait été ouvert ou instruit à ce jour, alors que les citoyens continuent de déplorer l’impunité dont bénéficient les voyous de la nomenklatura ayant gouverné le pays entre le 14 janvier 2011 et le 25 juillet 2021?
Au lieu de rendre des comptes à la justice, les auteurs et responsables de tous ces torts ayant contribué à la destruction du pays et à son appauvrissement au cours des dix dernières années continuent de jouer avec beaucoup de mauvaise foi aux héros de la démocratie en danger et de remonter l’étranger contre la Tunisie dans l’espoir d’échapper à la justice et de se remettre à flot.
Les Tunisiens qui réclament des comptes
Kaïs Saïed, par conviction mais également sous la pression des Tunisiens qui réclament des comptes, veut que la justice bouge pour faire son travail en toute intégrité et en toute indépendance, mais cette dernière, infiltrée ou complice, reste de marbre, si elle ne multiplie pas les décisions les plus discutables et les plus impopulaires qui ne font qu’aggraver le mécontentement des citoyens, choqués et incrédules.
Ce n’est un mystère pour personne que la justice tunisienne a été infiltrée par le système islamo-affairiste, d’ailleurs Bechr Chebbi député Ennahdha, qui avait déposé une plainte pénale contre Kaïs Saïed pour coup d’Etat, a deux de ses proches parents membres du CSM à savoir sa sœur Saïda (juge judiciaire) et son cousin Yosr (juge administratif). Et on peut multiplier les exemples d’affinités (ou de proximités) trop électives pour ne pas susciter des soupçons quant à l’indépendance de la justice, dont on sait que beaucoup de ses ténors ont été proches des partis Ennahdha et Nidaa Tounes, entre autres, qui ont gouverné la Tunisie au cours des dix dernières années. Sans parler des carriéristes habituels, grandes girouettes devant l’Éternel, qui retournent la veste au gré du vent, animés par des calculs personnels. Pour éviter de prendre des décisions qui fâchent tel ou tel parti, ces opportunistes sans scrupules et, surtout, sans conscience, laissent sombrer les dossiers dans les méandres d’une justice taillée sur mesure. Si les dossiers ne sont pas négligés et voués à l’oubli, des éléments à charge sont parfois très opportunément égarés en cours de route. Et cela n’honore pas une justice qui peine à se mettre au diapason des aspirations démocratiques des Tunisiens. «Le peuple veut réformer profondément le pays, mais sans une justice assainie et responsable, aucune réforme réelle n’est possible», a martelé le président de la république, qui exprime ainsi une impatience partagée par douze millions de Tunisiens. Mais une impatience qui semble laisser de marbre les juges ripoux qui font tout pour empêcher la réforme de leur secteur.
La justice doit rompre avec son passé douteux
On avait à un certain moment invoqué le manque de moyens humains et matériels pour justifier les carences de la justice et ses dysfonctionnements criards, mais les choses se sont beaucoup améliorées au cours des cinq dernières années : les effectifs ont été étoffés, les moyens logistiques des tribunaux accrus et les salaires des juges très substantiellement augmentés, faisant même des envieux parmi les autres hauts cadres de l’Etat, tels les ingénieurs, qui sont aujourd’hui beaucoup plus mal lotis, alors qu’ils ont fait des études autrement plus longues et plus pointues.
Rien pourtant n’a chargé et le corps de la magistrature, lui-même traversé par des luttes intestines, tarde à faire amende honorable, à rompre avec son passé douteux (que n’a-t-il pas commis comme abus de toutes sortes sous tous les précédents régimes!?) et à se réformer lui-même en assainissant ses rangs des éléments qui le déshonorent et nuisent à son image, laquelle reste encore très négative dans l’opinion publique.
C’est cette situation que le président de la république a déplorée, pour la énième fois, en recevant hier M. Boukhazer, lequel donne l’impression de nager au milieu de courants contraires et de marcher sur une ligne de crête, ballotté entre des intérêts, n’ayons pas peur des mots, oui des intérêts opposés.
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