Sur les 487 ministres ayant gouverné la Tunisie, au sein des 10 gouvernements successifs, depuis 2011, plus d’une cinquantaine ont été présentés aux Tunisiens comme des sauveurs, étant économistes chevronnés, compétents, motivés, intègres, visionnaires, etc. Le fiasco économique de la transition démocratique a mis la table pour le forcing politique du 25 juillet 2021. Les économistes du sérail, ceux ayant gouverné le pays (ministres et proches conseillers) assument une grande responsabilité dans le fiasco économique et ses conséquences politiques.
Par Moktar Lamari *
Le gouvernement Najla Bouden doit tirer les conclusions de la décennie passée pour mieux sélectionner ses ministres et hauts conseillers en politiques économiques, financières et monétaires.
L’arbre de l’après 2011 a été peu généreux; il n’a pas livré les fruits promis. Les indicateurs économiques sont catastrophiques et le pays est techniquement en faillite.
Les questions s’accumulent, pour l’avant de la révolution du printemps, et pour la décennie écoulée… censée être la période d’entrée en production de la transition démocratique.
Qui peut expliquer pourquoi les économistes tunisiens n’ont-ils pas vu venir le Printemps arabe? Pourquoi n’ont-ils pas pu proposer des solutions, des réformes et un discours mobilisateur pour relancer la croissance, donner de l’espoir et créer la prospérité ?
L’arbre se juge à ses fruits…
Certes, les mouvements sociaux et les syndicats liés ont été inflexibles et revendicateurs. Mais, ces mêmes mouvements ne font pas confiance, voyant l’ampleur de la corruption au sein des partis et des cabinets ministériels, et au sein même d’un parlement constitué en majorité de profanes en économie et de collusionnaires, pour ne pas dire des corrompus et des mafieux.
Les économistes ayant trempé dans les partis politiques et fait tout pour devenir ministre ou conseiller de ministre, les vrais comme les faux, ont promis monts et merveilles. Vainement!
Certains ont promis qu’ils peuvent gouverner 4 pays, d’autres ont promis des taux de croissance annuelle supérieurs à 7%, avec la création de 450 000 emplois par an. Les économistes du sérail paradaient sur les plateaux des médias audio-visuels, pour vendre des espoirs, pour ne pas parler des choses qui fâchent : bourrage de la fonction publique par le parti islamiste, le système rentier en place, les taux d’intérêt usuraires, la dette… la fuite des capitaux et le trafic de devises au grand jour!
Aujourd’hui, et malgré leur fiasco en tant que ministres ou conseillers du prince, ces économistes du sérail s’accrochent et n’en démordent pas. Ils veulent des postes, avec de nouveaux discours, sans demander pardon, sans se remettre en cause, sans vergogne… se dédouanant de toutes les responsabilités.
Les documents des campagnes électorales des partis ayant gouverné la Tunisie confirment l’ampleur du bluff… les émissions télé et de radio et les documents sont encore consultables dans les archives, merci à YouTube, Google et Facebook…
Les économistes du parti islamique Ennahdha ont été les pires en matière de tourner en rond, en matière de faire plus de ce qui ne marche pas…
Ils ont promis le plein emploi et la prospérité des régions intérieures. Ils ont promis toutes les réformes… de la parlote, rien que cela. Mais, ils ne l’ont pas fait seuls, ils l’ont fait en soudoyant d’autres, avec de juteux contrats à la clef…
Soif de pouvoir, course effrénée aux dividendes
Ces économistes du sérail des partis Nidaa et Qalb Tounes ont fait de même… Ils ont fait choux blanc… Aujourd’hui, ils jettent la responsabilité sur les politiciens… sans vergogne et ils tentent de nouveau de conseiller les prochains ministres et instances de l’État.
Ils n’ont pas dit la vérité, n’ont pas réussi à convaincre et n’ont rien fait pour claquer la porte si on ignorait leurs recommandations et rapports économétriques qui soutiennent leurs propositions et prospectives.
On bidouille les CV, on gonfle les compétences indûment et on y va, prêt à tout faire… on ameute les amis dans les médias… et il suffit de faire quelques entrevues dans les radios et télévisions en vogue, on est jugé bons pour gouverner, même si on n’a jamais mis les pieds à l’intérieur d’une administration tunisienne, et qu’on n’a jamais produit un seul document scientifique traitant des politiques publiques en Tunisie.
Et dans la course, pas de problème si on passe d’un parti à un autre, si on change de casquette… ou on fait les girouettes pour se maintenir en poste.
Ce faisant, on courbe l’échine, on fait les courbettes aux politiciens… et tous ont élaboré des budgets déficitaires pour notamment procurer des avantages monétaires pour les militants et partis au pouvoir…
Évitement des réformes, maintien du statu quo
Tous ont évité les vraies réformes, celles qui déplaisent au pouvoir… et encore moins aux partis politiques. Un débat s’est déclenché à la fin de la semaine écoulée à ce sujet entre d’une part certains de ces économistes qui ont été ministres ou conseillers, et qui se recyclent pour s’incruster de nouveau… et d’autre part ceux qui ont la critique facile, le franc-parler… et qui n’attendent que des miettes pour être appâtés… Entre les girouettes, les incompétents et les droit-dedans… il y a eu des clashs… tous demandent à ceux qui étaient les mains sur le volant (mêmes quelques doigts sur le volant…) de faire leur mea culpa… et ils foncent comme si de rien n’était?
On veut gouverner pour avoir un salaire de ministre, deux voitures de fonction, un logement de fonction, des voyages internationaux… une retraite à vie, au bout de quelques mois de service!
C’est cela leur objectif, et ils sont prêts à tout pour gouverner, tant pis pour les payeurs de taxes et les autres au chômage, ou dans la dèche depuis toujours.
Sortir du mandarinat et rompre avec la facilité
En l’absence d’un bilan décennal et d’évaluation économétrique rigoureuse, les responsabilités ne peuvent pas être déterminées… Qui fait quoi, pourquoi et pour quel résultat ? C’est le temps des bilans… et sans bilan, on ne peut pas faire mieux, en faisant les mêmes choses, et avec les mêmes économistes du sérail, quel que soit le changement de garde au sommet de l’Etat et dans les institutions dominant le paysage politique du pays.
La gouvernance économique de la Tunisie a besoin d’une clairvoyance sans faille. Elle a besoin de dire la vérité aux Tunisiens, toute la vérité et rien que la vérité. La Tunisie doit mener des réformes douloureuses, des compressions budgétaires et un redéploiement des ressources disponibles, sans augmenter la pression fiscale et sans compromission avec des partis politiques au pouvoir sans programme économique… et souvent sans éthique requise par la conduite des affaires économiques, monétaires et financières.
* Économiste universitaire, Canada.
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