Dans ces «Pensées et inspirations autour café du samedi matin», l’auteur, économiste spécialiste de gouvernance publique, explique comment la «bulle» Kais Saied pourrait éclater bientôt au contact des réalités économiques difficiles de la Tunisie, qui attend des solutions que le président de la république ne donne pas l’impression de détenir. Or, s’il doit marquer des points, le locataire du palais de Carthage doit le faire sur le front de l’économie.
Par Moktar Lamari *
En économie, une bulle n’est rien d’autres qu’un phénomène qui monte en flèche avant de faire un terrible pschitt, loi du marché oblige! En psychopédagogie, un bolé c’est un doué, un génie, un exceptionnel qui réussit là où les autres ont échoué.
Depuis le 25 juillet, depuis le coup de barre ayant fait un shut down du parlement, les sondages d’opinion montrent le président tunisien Kais Saied comme un bolé: avec des opinions favorables, dépassant les 75%.
Mais, comme on le sait tous, l’opinion publique ne donne pas de chèque en blanc, les yeux fermés et les poches vides. L’opinion publique a la mémoire courte! Pour le meilleur, et pour le pire…
Si l’économie ne suit pas et ne se bouge pas considérablement et rapidement, la bulle de Kais Saied fera rapidement pschitt, comme celles des autres leaders qui l’ont précédé.
L’économie est le véritable défi pour la Tunisie d’aujourd’hui
L’économique constitue le véritable enjeu, le véritable défi pour la Tunisie d’aujourd’hui! Les jeunes veulent de l’emploi, les caisses de l’État sont exsangues, et tous attendent le miracle… pour sortir le pays de l’impasse où il s’est mis depuis 10 ans, avec une dizaine de gouvernements n’ayant rien fait pour relancer l’investissement et redonner de l’espoir!
L’image et l’aura du président Saied ne feront pas long feu, si celui-ci continue de faire du déni du marasme économique et s’entête à ignorer l’impératif de la relance et de la croissance.
S’il continue à ne pas comprendre les enjeux économiques et financiers, il va comme les autres buter sur le même mur… et dégrader l’appareil économique, abîmer le tissu industriel et couler le pouvoir d’achat.
Un président, comme tout humain, peut faire plusieurs choses à la fois! Seule différence, un président a une légitimité, des moyens et du pouvoir. Le président peut mener des batailles sur plusieurs fronts, à condition d’avoir une vision, de disposer d’une approche, d’une équipe solide et solidaire, pour se fixer une liste de cibles à atteindre dans un horizon réaliste et planifié ex ante.
La lutte contre la corruption, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Le président Saied doit faire plus et sur plusieurs autres fronts:
– l’économique: parier sur la relance de l’investissement, de la compétitivité et de la productivité;
– le monétaire: parier sur une politique contre cyclique et en finir avec un monétarisme caduque et contre-productif;
– le budgétaire: limoger presque 200 000 fonctionnaires fantômes, morts ou absentéistes qui reçoivent encore des salaires sans rien faire! Le défi consiste à moderniser le management public, par une gestion axée sur les résultats;
– le social: mobiliser et rassurer par des programmes de solidarités et d’engagement de l’action collective pour venir en aide aux plus démunis;
– le service public: ce chantier est certainement le plus porteur, tout en étant le plus complexe et le plus dangereux. L’éducation, la santé et les infrastructures sont des secteurs sinistrés… méritant une action innovante et une modernisation à tous les niveaux.
Propulser l’investissement, l’innovation et la productivité
Le président Saied a fait de la corruption son cheval de bataille. Il le fait bien, malgré les rigidités d’un système de justice noyauté par les enjeux politiques, gangrené par la corruption et infiltré par l’islam politique.
Tous les opérateurs économiques, tous les observateurs l’attendent sur le front de l’économie. Depuis le 25 juillet, il manque d’inspiration, il manque d’idées! Et il ne fait rien pour catalyser les propulseurs de la croissance.
Après une récession de 9%, en 2020, le rebond économique devrait au moins livrer un taux de croissance de 5% (2022), pour s’inscrire dans des trends tendanciels de pays comparables : Maroc, Sénégal, Égypte, Rwanda, etc.
La Tunisie, dont l’économie est aujourd’hui à genoux, peut faire mieux, si la confiance collective manifestée par l’opinion publique tunisienne se transforme en mouvement propulseur de l’investissement, de l’innovation et de la productivité.
Pour ne pas perdre sa bataille, le président Kais Saied doit s’entourer mieux pour affronter les enjeux économiques et pour relever les défis de la création de l’emploi, de l’amélioration du pouvoir d’achat et de l’espoir.
Certes, l’héritage économique de 10 ans de mal-gouvernance ne peut pas se résorber par en claquant les doigts… ou par une baguette magique.
Mais, 4% de taux de croissance c’est faisable et réaliste pour 2022! Kais Saied, peut se fixer cet objectif, et mobiliser les politiques monétaires et fiscales pour l’atteindre. Le retour de la croissance en Europe va forcement faire repartir le secteur touristique, les exportations et l’investissement direct étranger. Et pour cela, il faut de la proactivité et de l’agilité du gouvernement tunisien dans son ensemble!
Faute de quoi, le président Saied n’arrivera pas à transformer son essai…rejoignant les autres leaders tunisiens qui ont fait choux blanc, bien avant lui, en négligeant les enjeux économiques durant les dix dernières années!
L’histoire ne pardonnera pas, et avec le marasme économique actuel, Kais Saied doit transformer son essai et marquer des points… de croissance!
Source : page Facebook Economics for Tunisia.
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