La ténacité, l’obstination voire même l’entêtement pourraient bien constituer des qualités chez un homme ou une femme qui a un objectif à atteindre et qui met la foi, la volonté et l’énergie nécessaires pour l’atteindre, Cependant, chez un chef d’Etat, ces «qualités» deviennent forcément des défauts, surtout lorsque ce dernier s’engouffre dans l’impasse du déni des réalités, nationales et internationales, comme le fait depuis plusieurs semaines le président Kaïs Saïed, dans une sorte de pulsion suicidaire dans laquelle il mène dans son sillage douze millions de Tunisiennes et de Tunisiens.
Par Imed Bahri
Le locataire du palais de Carthage a sans doute raison de vouloir réformer le système politique pourri en place depuis 2011 en Tunisie et qui, de crise en crise, a mené le pays au bord du gouffre où il se trouve aujourd’hui avec des clignotants au rouge dans pratiquement tous les domaines. Mais là où il rate le coche c’est lorsqu’il croit pouvoir mener tout seul cette opération de refondation de la république, en se faisant aider par quelques comparses aussi muets que soumis et en recourant à une méthode très discutable qui, au prétexte de répondre à la volonté populaire, tourne le dos à toute la classe politique et même à la société civile, refusant tout débat contradictoire et s’enfermant dans la logique autiste de celui qui connaît les intérêts supérieurs de tout un peuple, ainsi pris comme une masse homogène et compacte de supporters.
Un dernier avertissement avant le clash
Kaïs Saïed rate aussi le coche en ne prenant pas en considération les avertissements, exprimés en des termes ô combien mesurés et diplomatiques, des plus importants partenaires internationaux de la Tunisie et ses principaux bailleurs de fonds, comme l’Union européenne et les Etats-Unis, dont il est dans l’obligation de solliciter le soutien en vue de mobiliser une aide financière internationale substantielle permettant de sortir le pays du pétrin où il se trouve aujourd’hui, puisqu’il est dans l’incapacité de boucler son budget de l’Etat pour l’exercice qui s’achève et de préparer celui de l’exercice à venir.
Le dernier avertissement en date a été exprimé hier soir, vendredi 10 décembre 2021, par les chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, qui, dans une déclaration commune, ont réitété leur ferme soutien «au peuple tunisien dans son aspiration à une gouvernance efficace, démocratique et transparente», tout en réaffirmant «l’importance de la stabilité socio-économique du pays pour répondre aux attentes du peuple tunisien» et en se disant «prêts à accompagner la mise en œuvre rapide des avancées nécessaires au redressement de la situation économique et financière de la Tunisie, y compris celles qui sont actuellement en cours de discussion avec des partenaires internationaux, afin de protéger les plus vulnérables, et de créer les bases d’une croissance durable et équitable.»
Il ne faut pas être grand analyste et lire entre les lignes pour comprendre que les pays du G7 rappellent ici aux autorités tunisiennes que leur accord sera déterminant pour faire avancer la demande tunisienne d’un nouveau important prêt du Fonds monétaire international (FMI) et autres bailleurs de fonds multilatéraux, Et que, par conséquent, leurs «conseils amicaux» ne devraient pas être jetés aux orties, notamment ceux relatifs aux «décisions souveraines en matière de réformes économiques, constitutionnelles et électorales» que la Tunisie s’apprête à prendre, lesquelles réformes devraient réfléter l’«attachement au respect des libertés fondamentales de l’ensemble des Tunisiens, et à un processus politique inclusif et transparent, impliquant une large participation des forces politiques et sociales du pays, suivant un calendrier précis, pour permettre le retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques, avec un Parlement élu jouant un rôle significatif.»
La Tunisie ne doit pas basculer dans l’instabilité
La situation de la Tunisie au cœur de la Méditerranée, à la croisée des routes terrestres et maritimes, entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe, qui en font un passage obligé de toutes sortes de flux : de marchandises, de migrants clandestins et de trafics criminels, lui confère une importance stratégique dans une région qui ne manque pas de sources de tension voire de violences potentielles et, de ce fait, aucun des pays signataires de la déclaration citées ci-haut ne souhaiterait la voir basculer dans l’instabilité ou le désordre et tous se disent prêts à lui «garantir un soutien large et durable», mais ce soutien ne saurait être sans conditions, d’autant que, dans un passé récent, les autorités tunisiennes n’ont pas respecté leurs engagements pris envers leurs bailleurs de fonds, lesquels ne sauraient justifier demain, au regard de leurs propres contribuables, d’éventuelles futures aides financières à notre pays.
Tout cela pour dire que M. Saïed, qui semble déterminé à aller jusqu’au bout de ses projets de réformes constitutionnelles, doit cesser de trop s’écouter lui-même et prêter l’oreille à tous ceux qui, pas plus ni moins que lui, veulent du bien à notre pays et voudraient contribuer à son redressement. Et les grands partenaires internationaux de la Tunisie, de Washington à Bruxelles, en passant par Paris, Berlin, Rome, Tokyo et Otawa, en font partie.
C’est ce qu’a souligné Elyes Kasri, ancien ambassadeur de Tunisie au Japon et en Allemagne qui, dans un post Facebook, a écrit hier soir: «Il est temps d’admettre que toute sortie de crise de la Tunisie devra passer par Washington avec la Maison Blanche et le Congres américain ainsi que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Il est illusoire et enfantin, certains parlent même d’autisme, de penser qu’une alternative ou un détour puissent exister à travers Ryad, Abou Dhabi, Le Caire, Alger et encore moins Pékin, Moscou ou Ramallah.» Et de pointer la cécité diplomatique de Kaïs Saïed qui risque d’être fatale pour notre pays : «L’obstination a ne pas reconnaître les réalités politiques et économiques internationales ainsi que les contraintes objectives de la Tunisie ne peut que nous mener droit vers la faillite économique et l’explosion sociale», écrit-il dans un avertissement dont le locataire du Palais de Carthage serait bien inspiré de tenir compte.
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