L’empressement de l’ambassadeur d’Allemagne à Tunis, Peter Bruegel, de rencontrer la ministre de la Justice, Leila Jaffel, ce lundi 3 janvier, le nouvel an venant juste de commencer, suite à la mise en résidence surveillée, le 31 décembre dernier, de Noureddine Bhiri, vice-président du parti islamiste Ennahdha, ne peut être raisonnablement perçu que comme une ingérence flagrante d’une puissance étrangère dans les affaires intérieures d’un pays souverain : la Tunisie…
Par Raouf Chatty *
Dans son communiqué officiel suite à cet entretien, l’ambassade d’Allemagne à Tunis a mis l’accent en particulier sur l’importance que son pays accorde «à l’indépendance du pouvoir judiciaire», quand bien même la question, au-delà de la qualité politique de la personne interpellée et de l’exploitation politicienne qu’en fait son parti Ennahdha, relève strictement du pouvoir judiciaire dans un État souverain.
Des ingérences inacceptables
Dans le même sillage s’inscrit la démarche du représentant du Haut commissariat des Nations Unies aux Droits de l’homme à Tunis. Celui-ci s’est également empressé de solliciter des autorités une rencontre avec M. Bhiri. Ayant obtenu rapidement l’accord de celles-ci, il a pu ainsi s’entretenir, le 3 janvier, en toute liberté, avec le concerné dans son lieu de résidence surveillée et s’enquérir de son état de santé, dementant au passage les rumeurs et les allégations fallacieuses dont ce dernier a fait l’objet…
Au-delà de leurs aspects humanitaires, ces deux démarches peuvent être perçues comme des pressions sur l’Etat tunisien. Elles temoignent du peu de cas que l’Allemagne et le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme accordent à cet Etat comme du peu de confiance qu’ils ont en l’indépendance du pouvoir judiciaire en Tunisie.
Ces deux diplomates, qui connaissent certainement bien la situation politique en Tunisie et le contexte général dans lequel a eu lieu l’arrestation de M. Bhiri, auraient mieux fait d’attendre que les autorités tusiennes fassent des déclarations officielles sur le sujet, comme cela fut fait par le ministre de l’Intérieur dans la soirée du lundi 3 janvier de manière franche et sans detours.
Les actes des deux diplomates pourraient ouvrir la porte à de nouvelles ingérences de puissances étrangeres dans les affaires intérieures de la Tunisie. Ces ingérences sont inadmissibles et inacceptables dans un pays où l’Etat est le premier à se réclamer du respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et publiques et où le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne cesse de monter au créneau pour rappeler son indépendance par rapport au pouvoir exécutif.
Dans un État de droit, il est attendu que M. Bhiri soit traité comme tous les prévenus dans le strict respect de la loi et bénéficiera de toutes les garanties légales. Crier au scandale est malencontreux et procède d’une mauvaise foi évidente et s’inscrit dans le cadre d’une volonté d’entraver la procédure judiciaire et d’influencer le cours de la justice.
La diplomatie tunisienne doit bouger
Pour l’heure, le ministère des Affaires étrangères doit anticiper les campagnes calomnieuses dont la Tunisie pourrait faire l’objet. Il doit bouger sans delai de la manière la plus appropriée pour éclairer l’étranger sur cette affaire comme sur le contexte politique général et l’exploitation dont elle pourrait faire l’objet par certains partis politiques et commerçants des droits de l’homme aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger à des fins politiciennes, au détriment des intérêts de la Tunisie…
* Ancien ambassadeur.
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