Le 14 janvier 2011 a marqué l’entrée de la Tunisie dans une nouvelle étape de son histoire politique et dans une dynamique qui était censée être salvatrice pour le pays. Ce tournant a été baptisé «révolution» de la liberté et de la dignité. Qu’est-il resté aujourd’hui des promesses, tombée l’une après l’autre, comme un château de cartes ?
Par Raouf Chatty *
Malheureusement, la nation s’était depuis retrouvée progressivement sous le joug d’une classe politique amateure, hétérogène, constituée d’anciens opposants souvent de niveau intellectuel médiocre, avide de pouvoir, mais sans véritable connaissance des Tunisiens ni aucune expérience des affaires de l’Etat ni de la diplomatie ni des enjeux d’un monde plus que jamais instable et incertain.
Le soulèvement populaire, sans leaders ni lignes conductrices, s’était très vite transformé en mouvement vaguement révolutionniste pseudo-démocratique dont se disputaient la direction des politiques novices et opportunistes essentiellement mus par un appétit insatiable de pouvoir, perçu naïvement comme une solution miracle pour tous les maux de la Tunisie.
Des «petites» personnes, sans vision ni projet ni programme
La persistance de cette lutte acharnée pour le pouvoir et son aggravation depuis 2011 a bouleversé tous les repères du pays causant des graves atteintes à l’autorité de l’Etat désormais bafouée, à la stabilité sociale mise à rude épreuve, à l’économie nationale très malmenée, à l’image du pays et à son statut sur les échiquiers régional et international, lui faisant ainsi perdre la crédibilité dont il se targuait sous l’ancien régime…
De fait, en 11 ans, et à l’exception de la liberté d’expression, menacée par moments, la Tunisie n’a réussi à réaliser aucun des objectifs proclamés du soulèvement de décembre 2010-janvier 2011: la liberté, la dignité et le travail. Elle s’était empêtrée dans des contradictions insolubles dans tous les domaines, aggravées par un environnement économique et social en constante détérioration et par les divisions entre les différents protagonistes politiques.
Onze ans après, jour pour jour, on retrouve sur la scène beaucoup des protagonistes de ces longues années de braise, dont le mouvement islamiste Ennahdha et les partis Nidaa Tounes, Tahya Tounes, Machrou Tounes, Attayar, Echaab…, qui furent longtemps aux commandes des pouvoirs législatif et exécutif, et d’éternels opposants de gauche comme les frères Nejib et Issam Chebbi, Hamma Hammami, Mongi Rahoui et autres.
Tous continuent de manifester, de donner de la voix et de clamer les mêmes slogans, dans de vaines tentatives pour mobiliser l’opinion publique autour de leurs «petites» personnes, faite de projets ou de programmes, feignant d’oublier qu’ils ont été et continuent d’être d’une manière ou d’une autre des acteurs du malheur actuel de la Tunisie, fruit pourri d’une décennie de «révolutionnisme», d’amateurisme politique, de mauvaise gestion et d’abus de pouvoir de tous genres.
Le règne de la mentalité du «tout est permis»
S’ils ont tous le droit de manifester autant qu’ils le souhaitent et encombrent les rues de leurs bruits et fureurs, n’est-il pas temps qu’ils fassent leur mea-culpa et se résignent à cesser d’abuser des Tunisiens ? En continuant à rabâcher le même discours sur la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans prendre la peine de s’arrêter un moment sur ce qu’ils ont fait (ou n’ont pas fait) en dix ans de militantisme pour aider à l’amélioration du sort des Tunisiens, ils se couvrent de ridicule et aggravent le sentiment de mépris que leur voue aujourd’hui leurs compatriotes, lassés par leurs vaines gesticulations. Ils pourront toujours se défausser sur les autres et se dérober à leurs responsabilités, au prétexte qu’ils n’étaient pas ou pas vraiment aux commandes ou qu’on ne les a pas laissés nous montrer de quel bois ils se chauffent, mais cet argument fallacieux a peu de chance de convaincre tous ceux et celles qui les ont vus à l’œuvre et ont eu le temps d’apprécier l’ampleur de leur incompétence crasse.
Nous savons tous que ces pseudos personnalités nationales ont joué un rôle majeur au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), ne fut-ce qu’en «pondant» une Constitution quasiment impraticable et qui est à l’origine du blocage politique actuel, de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui lui a succédé, et des coulisses du pouvoir exécutif, des médias et des forums politiques.
Par leurs agissements et leurs déclarations, ils ont conforté chez les masses populaires cette mentalité du «tout est permis» au nom des libertés et des droits, devenus un fond de commerce négociable auprès de la communauté internationale, cassant ainsi au passage les grands équilibres sociaux construits en un un demi-siècle d’indépendance nationale et bafouant les repères essentiels de la société dans tous les domaines.
La porte ouverte à tous les désordres
Qu’ils se rappellent de leur contribution à la Constitution promulguée en janvier 2014, au choix du régime politique parlementaire, principale cause de l’instabilité régnant depuis dans le pays, tout comme des lois qui ont gravement affaibli l’autorité de l’Etat et ouvert la porte à tous les désordres, pour aboutir au final à une crise institutionnelle sans précédent, qui a handicapé la marche normale du pays et lourdement hypothéqué, et pour de nombreuses années, son développement.
Il faut que ces soi-disant «personnalités nationales» saisissent une fois pour toutes que leurs actions prêtent au ridicule, que leur militantisme d’un autre âge est révolu, qu’ils n’ont nullement les moyens intellectuels et les connaissances techniques requises pour résoudre les problèmes du pays et qu’ils feraient mieux de changer rapidement de logiciel, s’ils ont encore les moyens d’un tel changement, alors qu’ils ont pour la plupart largement dépassé la soixantaine.
Le peuple a dit son mot à leur sujet en sortant en masse dans la rue, le 25 juillet 2021, pour leur dire basta et leur signifier qu’il n’a plus besoin de tuteurs pour parler en son nom et qu’il n’est plus prêt à continuer à payer la facture de leurs intermibles errements…
Cet avertissement sous forme de coup de gueule s’adresse également à ceux qui tiennent aujourd’hui l’Etat en otage et à leur tête le président Kaïs Saïed, qui a pris le train du 25-Juillet en marche et tente aujourd’hui de le détourner de sa voie pour imposer son utopie fantaisiste de démocratie directe,
Qu’ils comprennent tous, pouvoir et opposition réunis, que la Tunisie a besoin plus que jamais de retrouver ses repères et ses constantes dans tous les domaines et qu’elle n’a que faire de nouvelles aventures sans lendemain qui risquent d’ajouter à ses maux et de l’enfoncer davantage dans la crise.
* Ancien ambassadeur.
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