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Tunisie : Kaïs Saïed face à l’échec de «sa» consultation électronique

Kaïs Saïed recevant, hier, au palais de Carthage, Nizar Ben Neji.

Quand on connaît l’ampleur des problèmes économiques, financiers et sociaux, auxquels les membres du gouvernement sont confrontés chaque jour, les préoccupations du président Kaïs Saïed et ses petites guéguerres peuvent paraître complètement déconnectées par rapport aux grands défis qui attendent un pays au bord de la banqueroute.

Par Ridha Kefi

Le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu, le 22 février 2022, au Palais de Carthage, Dr Nizar Ben Neji, ministre des Technologies de la communication. La rencontre a traité des «difficultés techniques» rencontrées par les citoyens et citoyennes pour participer à la Consultation populaire électronique, voulue par le chef de l’Etat et qui porte sur les réformes constitutionnelles et politiques à mettre en œuvre en Tunisie.

Une consultation qui fait pschitt

Ce qui est intéressant à relever dans le communiqué de la présidence de la république relatant cette activité somme toute banale, c’est l’interprétation pour le moins tendancieuse et alambiquée que le locataire du palais de Carthage fait du rythme poussif de cette opération dont il a ardemment voulu la réussite et qui est en train de faire pschitt, car le nombre des citoyens y ayant participé, plus d’un mois après son démarrage, n’a pas encore atteint le seuil des 500 000. Très peu, sachant que l’opération se poursuivra encore un mois, pour prendre fin le 20 mars prochain, et que d’ici là, on aura du mal à atteindre le seuil du million de participants, sur une population totale de 12 millions, chiffre insignifiant pour donner une quelconque représentativité à un tel «échantillon», qui sera, forcément et essentiellement, composé des fans et des groupies de Kaïs Saïed. On sera loin, en tout cas, des quelque 80% des Tunisiens et Tunisiennes qui, selon les sondages d’opinions, feraient toujours confiance au président de la République. La seule explication possible à ce paradoxal décalage : les Tunisiens font encore confiance à Kaïs Saïed, l’homme, mais se méfient des lubies de Kaïs Saïed, le chef d’Etat.

Comment le locataire du palais de Carthage explique-t-il ce qu’il a visiblement du mal à admettre comme un échec cuisant ? Le communiqué, qui reprend la rengaine complotiste habituelle du président de la République, cite «les difficultés techniques rencontrées par les citoyens et citoyennes pour participer» (sic!), dont «certaines résultant d’un ensemble de choix techniques devant être surmontés, et certaines autres sont causées par ceux qui veulent museler la parole et faire avorter cette expérience, la première en son genre en Tunisie» (resic!).

Cette explication aurait un sens et serait peut-être acceptée si la consultation n’était pas, du début à la fin, conçue et réalisée par les services de l’Etat, dont M. Saïed est censé maîtriser tous les rouages, puisqu’il détient tous les pouvoirs depuis l’annonce de l’état d’exception, le 25 juillet dernier

A moins que les «saboteurs» des œuvres de sa majesté ne soient tapis au sein de ces mêmes services et y opèrent impunément et en toute liberté. Auquel cas, la responsabilité en incomberait d’abord au chef de l’Etat lui-même qui choisirait mal ses plus proches collaborateurs, ces derniers s’étant montrés incapables de conduire une opération qu’un simple cabinet d’études aurait menée avec plus de rigueur, de précision et d’efficacité.

Le refus de regarder la réalité en face

Loin d’expliquer ou de justifier quoi que ce soit, le communiqué de la présidence de la République nous confirme dans les réserves que nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer vis-à-vis d’un homme qui, malgré les qualités que lui attribuent ses partisans, notamment sa présumée intégrité, présente aussi plusieurs traits de caractère qui sont généralement considérés comme des défauts inacceptables chez un chef d’Etat : une rigidité doctrinale, qui alimente chez lui une sorte de paranoïa lui faisant voir des comploteurs partout, une obstination dans l’erreur et, plus grave encore, le refus de voir la réalité en face. D’où la fuite en avant qui caractérise la plupart de ses réactions, à chaque fois que ses mesures, ses positions ou ses déclarations à l’emporte-pièce rencontrent une certaine réticence chez ses interlocuteurs, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Sa manière de limoger à tour de bras des hauts cadres de l’Etat (le cabinet présidentiel est un véritable «cimetière de talents»), qui plus est, sans aucune forme d’explication, et sans sentir le moins du monde la nécessité de justifier ses décisions, transforme cette fuite en avant en un refus quasi pathologique de regarder la réalité en face.

On imagine l’embarras dans lequel se trouvent la Première ministre, Najla Bouden, et les autres membres du gouvernement, qui sont souvent appelés à écouter religieusement un président n’écoutant que l’écho de sa propre voix et qui, surtout, sont tenus de ne pas exprimer la moindre réserve voire d’avaler les plus grosses «couleuvres présidentielles», en donnant l’impression d’être entièrement d’accord avec lui, au point de partager ses lubies et de s’effrayer des «cauchemars complotistes» dont il ne cesse de les gratifier.

Quand on connaît l’ampleur des problèmes économiques, financiers et sociaux, auxquels ces hauts responsables de l’Etat sont confrontés chaque jour, les préoccupations du président de la république et ses petites guéguerres peuvent paraître puériles, gravement décalées et, en tout cas, complètement déconnectées par rapport aux grands défis qui attendent un pays au bord de la banqueroute et qui ne fait, jusque-là, que retarder l’heure de vérité, c’est-à-dire le coup fatal, celui d’une nouvelle dégradation de la note souveraine (décidément, «Ommek sannafa» ne nous lâchera pas!) et d’un rééchelonnement contraint de sa dette.

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