C’est avec un score de 58% au deuxième tour de la présidentielle en France qu’Emmanuel Macron, le président sortant, a remporté le scrutin populaire face à Marine Le Pen, candidate de l’extrême-droite, créditée de 42%, avec un taux d’abstention relativement élevé estimé à 28%. Si la victoire du président sortant était prévisible et attendue, elle a été plus difficile que celle qu’il avait remportée 5 ans plus tôt face à la même candidate. Et confirme que l’extrême-droite n’est plus vraiment un repoussoir et qu’elle frappe désormais aux portes du pouvoir.
Par Raouf Chatty *
En recentrant son discours et en gommant certaines aspérités de son idéologie nationaliste surannée, Marine Le Pen a, en effet, réussi à capitaliser sur les frustrations de larges franges de la population française, notamment de la classe moyenne et des classes laborieuses, qui n’en peuvent plus de souffrir le martyre des difficultés énormes qu’elles endurent depuis des d’années dans tous les domaines et qu’elles imputent en grande partie à l’immigration étrangère en France…
Le Pen capitalise sur les frustrations des classes laborieuses
Il est vrai que la France d’aujourd’hui est l’ombre de ce qu’elle fût durant les fameuses Trente Glorieuses, période historique comprise entre 1946 et 1975 pendant laquelle la France et la plupart des économies occidentales connurent une croissance exceptionnelle et régulière et à l’issue de laquelle elles sont entrées dans l’ère de la société de consommation. Aujourd’hui, le pays s’est en partie désindustrialisé et le chômage et la précarité y touchent une partie non-négligeable de la population.
Pourtant, l’élection de Macron semblait aller de soi. Aux yeux de beaucoup de Français, qui ne portent pas le jeune président dans leur cœur, il ne pouvait en être autrement, car ils n’ont pas vraiment eu le choix et ne pouvaient confier la charge de l’Etat à une dame qui n’a ni l’expérience nécessaire de la gestion des affaires de l’Etat ni la compétence requise en affaires étrangères, à un moment où le continent européen est bouleversé suite à l’invasion récente de l’Ukraine par la Russie… Pour ne rien arranger, les relations de Mme Le Pen avec le pouvoir en place à Moscou ne lui ont pas attiré la sympathie de beaucoup de Français.
Ces derniers ont donc fait le choix de la sagesse. Ils ont privilégié l’expérience sur l’aventure, la compétence et le savoir-faire sur le populisme, le réalisme sur les sentiments… Ils ont voté pour une France ouverte, équilibrée et fidèle à ses valeurs républicaines. Et fermé la porte devant l’aventurisme qu’aurait constitué l’élection d’une candidate qui a fait l’essentiel de son parcours politique à l’ombre d’un père ayant incarné, quarante ans durant, aux yeux des Français, le nationalisme dans ce qu’il a de plus hargneux et de plus borné.
Macron incarne le leadership français dans un monde en transformation
Emmanuel Macron sait parfaitement que son pays devra aujourd’hui batailler fort et serré pour garantir sa place de puissance dans un monde en pleine reconfiguration géostratégique, où de nouvelles puissances sont en train de monter comme la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil. Et il a parfaitement joué sa partition en soulignant les risques que la candidate du Rassemblement national pourrait faire courir à la France en l’isolant au sein d’une Europe gagnée par le doute.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie l’a, à cet égard, beaucoup servi, en lui permettant de mettre sa campagne électorale sous le signe du renforcement de la place de la France au sein de l’Union européenne et dans un monde en pleine transformation où les logiques d’enfermement peuvent être fatales.
D’ailleurs, l’élection de Macron a été accueillie avec beaucoup de satisfaction, aussi bien à Washington que dans la plupart des capitales européennes. Car aussi bien les Etats-Unis que l’Union européenne ont aujourd’hui besoin d’un président français de la stature de Macron, alliant intelligence, détermination, souplesse et leadership ouvert et dynamique, d’autant que l’Europe manque cruellement de leadership fort après le départ de la chancelière allemande Angela Merkel.
Macron a forgé son leadership en gérant avec doigté, lors de son premier mandat, les graves problèmes qui ont marqué la France durant son mandat, notamment le mouvement social des Gilets jaunes, les ravages de la pandémie de Covid-19 avec des dizaines de milliers de morts en France, la crise économique sans précédent, le retrait difficile des forces françaises au Mali…
La France reste une école de démocratie et de liberté
Son second mandat marquera certainement un tournant majeur pour la France et le monde. Au plan intérieur, Macron devra tenir sérieusement compte dans ses politiques des attentes de ceux qui se sont abstenus lors du vote ou des desideratas de ceux qui ont voté pour la candidate de l’extrême-droite, et qui ont ainsi lancé un avertissement aux forces politiques classiques, dont Macron apparaît aujourd’hui comme l’un des derniers représentants. Et cet avertissement est le suivant : le vote du 24 avril 2022 scelle définitivement la montée de l’extrême-droite en France, qui frappe désormais à la porte du pouvoir.
Au plan international, la France conserve bien des atouts en dépit de toutes les difficultés qu’elle connaît pour demeurer un pays phare dans le monde, un pays fort du passé glorieux de son peuple, de son intelligence et de son ouverture. Par la teneur de son discours d’hier soir, au cours duquel il a tendu la main à ses adversaires, se présentant comme le président de tous les Français, y compris de ceux qui n’ont pas voté pour lui, Macron a apporté une nouvelle fois la preuve que la France reste une école de démocratie et de liberté et qu’elle offre un exemple pour le reste de l’humanité. Et notamment pour nous autres Tunisiens, qui avons tant de mal à avancer dans notre projet démocratique.
* Ancien ambassadeur.
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