Face à l’intransigeant entêtement de Kaïs Saïed, qui refuse de dialoguer avec tous ses opposants, sans distinction aucune, le parti islamiste Ennahdha sort peu à peu de sa léthargie et commence à se positionner sur une scène politique éclatée, versatile et incapable de donner le change.
Par Ridha Kéfi
Depuis qu’il a été chassé du pouvoir, à la faveur de la proclamation de l’Etat d’exception, le 25 juillet 2021, par le président de la république Kaïs Saïed, le parti islamiste Ennahdha s’est longtemps fondu au sein du Front du salut national (FSN), conduit par Nejib Chebbi, l’une des figures historiques du centre-gauche, avant de sortir enfin de sa relative léthargie, à la veille des législatives anticipées du 17 décembre prochain, pour faire entendre de nouveau sa voix.
C’est ainsi que le parti présidé par Rached Ghannouchi, interdit de voyage et poursuivi dans plusieurs affaires de justice, a donné une conférence de presse, jeudi 17 novembre, à son siège à Tunis, pour rappeler sa décision de boycotter les prochaines législatives, comme il l’avait fait auparavant pour la consultation en ligne et pour le référendum sur la constitution.
Le loup islamiste sort du bois
Comme pour répondre à ceux qui affirment qu’Ennahdha participe indirectement à ces élections par le biais de certains de ses membres, qualifiés de «sous-marins», Nizar Haboubi, membre du bureau exécutif, nouveau visage de la galaxie islamiste , a tenu à préciser qu’Ennahdha interdit à ses partisans et à ses structures de participer aux différentes étapes du processus électoral, tout en rappelant la position ferme du mouvement qui considère l’utilisation de l’article 80 de la Constitution par le président Kaïs Saïed pour annoncer l’état d’exception, comme un «coup d’Etat contre la constitution».
M. Haboubi est allé plus loin en affirmant que le président Saïed continuera à appliquer le décret n°117 (du 22 septembre 2021) jusqu’à la fin de 2023 pour «éviter l’élection présidentielle de 2024», ajoutant qu’en dépit de l’élection d’une nouvelle assemblée, à la faveur des législatives du 17 décembre prochain, qui est censée annoncer la fin de l’état d’exception et le retour à la normalité constitutionnelle, telle qu’elle est définie par la constitution promulguée en septembre dernier par le président de la république, Kaïs Saïed «va recourir à l’article 90 (de ce dernier texte, Ndlr) pour prolonger son mandat présidentiel». D’autant que «les prochaines élections donneront naissance à un parlement sur mesure sans prérogatives effectives», a ajouté le dirigeant islamiste.
Intervenant lors de la même conférence de presse, le vice-président d’Ennahdha, Ali Larayedh, de nouveau propulsé sur les devants de la scène, a évoqué, de son côté, la situation économique, sociale et politique du pays, caractérisée par les pénuries des produits de première nécessité, la dégradation du pouvoir d’achat, la crise environnementale à Sfax, etc., affirmant qu’elle a terni l’image de la Tunisie auprès des instances internationales, tout en rappelant les réactions des pays qui ont contribué aux travaux du Conseil des droits de l’homme à Genève sur la dégradation des droits et libertés en Tunisie.
Un opportunisme qui crève l’écran
L’ancien chef de gouvernement, dont le mandat n’a pas été marqué par un grand respect des droits et des libertés, a aussi insisté sur le fait que les répercussions de l’accord du gouvernement avec le Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit des réformes douloureuses, notamment la suppression progressive des subventions des produits de première nécessité, la réduction de la masse salariale dans le secteur public et la restructuration entreprises publiques, seront désastreuses pour les classes vulnérables et moyennes.
Ce ne sont pas les critiques exprimées par Ennahdha et ses griefs contre le régime personnel du président Saïed qui posent problèmes, car elles ont déjà été exprimées et souvent avec plus de force par les dirigeants des autres partis politiques, les représentants de la société civile et les experts économiques et sociaux, mais ce qui dérange dans la posture actuelle des islamistes, c’est son opportunisme qui crève l’écran.
En effet, non seulement les dirigeants islamistes n’ont pas fait leur autocritique ni admis leur responsabilité dans la détérioration de la situation générale en Tunisie ni fait amende honorable en présentant des excuses aux Tunisien(ne)s qui ont beaucoup souffert sous leur règne entre 2011 et 2021. Mais pire encore, ils se positionnent aujourd’hui de nouveau sur l’échiquier politique, misent sur les difficultés qu’éprouve Kaïs Saïed à gérer la crise générale dans le pays et la colère qui gronde parmi toutes les couches de la population, et espèrent pouvoir revenir au pouvoir dans l’après-Kaïs Saïed. C’est pourquoi d’ailleurs ils avertissent les autres forces politiques contre la tentation que pourrait avoir ce dernier de forcer de nouveau le verrou constitutionnel qu’il s’est imposé lui-même imposé en passant outre les présidentielles de 2024 pour se payer deux mandats successifs sous le régime de l’état d’exception.
Vers un remake du scénario de 2011
Il reste cependant à se demander si cet appel du pied d’Ennahdha va trouver un écho auprès des autres forces politiques, dont la méfiance à l’égard des islamistes est pourtant de notoriété publique, mais qui pourraient être tentées, à l’instar de Néjib Chebbi, de faire front commun avec eux face au «dictateur», comme ils l’ont déjà fait en 2011, pour en payer ensuite le lourd tribu.
C’est la perspective de remake de ce scénario ayant permis aux islamistes d’accéder au pouvoir en 2011 qui semble dicter aux dirigeants d’Ennahdha leurs dernières sorties médiatiques. Et que semble d’ailleurs conforter la rigidité du président Saïed et son refus de jeter les ponts du dialogue avec ses autres opposants.
Les Nahdhaouis misent par ailleurs sur la tenue d’hypothétiques législatives, après la chute de ce dernier, pour revenir par la grande porte après avoir été sortis par la fenêtre, en misant surtout sur leurs capacités de mobilisation électorale qu’ils ont perdu au lendemain du 25 juillet 2021, intervenu dans un contexte de graves divisions au sein de leur parti, mais qu’ils semblent en train de retrouver face à l’intransigeant entêtement de Kaïs Saïed. De là à penser, comme beaucoup, que le président de la république a échoué deux fois face à Ennahdha : d’abord en ne réussissant pas à le mettre définitivement hors d’Etat de nuire, ensuite en lui permettant de se resserrer ses rangs, de se refaire une santé et de se repositionner au centre de la scène politique.
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