Depuis un siècle et demi, le collège Sadiki au fondement de la modernité tunisienne

L’école tunisienne commémore en ce mois de Février 2025 un siècle et demi de modernité éducative avec la naissance du Collège Sadiki en 1875. Le laboratoire du Patrimoine de l’université de Manouba, en association avec le Centre d’art et de la culture Ksar Saïd et l’association Nadwa organisent deux évènements majeurs le 20 février 2025 consacrant l’ancrage historique et symbolique de ce monument dans la conscience nationale et citoyenne tunisienne.

Abdelhamid Larguèche *

Le premier évènement est le vernissage d’une exposition photographique qui raconte l’histoire du Collège depuis sa fondation en 1875 du temps où il logeait dans la vieille caserne de Sidi Morjani en bas de l’actuelle Rue de la Zitouna jusqu’en 1897, date de l’inauguration du majestueux monument actuel.           

De la caserne turque au bâtiment moderne

Le bâtiment moderne surplombe la place de la Kasbah, et qui a vu passer des générations et des générations d’enfants du pays toutes classes confondues.

Du haut de son minaret et de ses coupoles, le monument, classé patrimoine national en 1992, nous contemple et veille sur la médina de Tunis, capitale du savoir au Maghreb depuis des siècles.

Ce collège moderne dans son architecture et son programme éducatif est l’œuvre du Grand vizir réformateur Kheireddine Bacha, premier ministre de Sadok Bey. Après avoir sillonné l’Europe il constata que les nouvelles sociétés européennes ont émergé au milieu du XIXe siècle comme des sociétés modernes grâce à l’essor des sciences et des techniques. Constat qui l’a amené à donner la priorité à la science et à l’éducation modernes. Il annonce l’ère des réformes dans son ouvrage programme édité en 1867 et intitulé : « Les meilleurs chemins pour connaitre l’État des Nations« .

Kheireddine Bacha, fondateur de Sadiki en 1875.

Ce fut l’œuvre de Kheireddine la plus durable qui a résisté aux convulsions politiques et sociales de la fin de siècle et surtout à la tourmente coloniale.

A côté de l’enseignement de la langue arabe et des sciences religieuses, Sadiki fut le foyer de l’innovation éducative avec l’introduction de l’enseignement des langues modernes (français et italien), des mathématiques et de la physique, ainsi que de la culture du corps par la gymnastique. Ce fut la grande révolution par une nouvelle éducation qui allait changer la manière de penser et d’agir de la jeunesse tunisienne.

Salle de gymnastique au tout début du XXe siècle : la culture du corps fait son irruption.

Une destinée nationale et patriotique :

Le collège Sadiki allait vite devenir la matrice de nouvelles élites qui vont façonner une nouvelle identité pour le pays. Sadiki sera dès le départ l’espace de formation certes des traducteurs et fonctionnaires de l’administration coloniale, mais aussi et surtout des élites nouvelles qui vont donner à la jeune nation en formation ses premiers médecins, avocats et chefs nationalistes qui vont remettre en cause l’ordre colonial et annoncer l’ère de la libération nationale.

Déjà les premières figures issues des premières promotions montrent bien la voie à suivre.

Bechir Sfar – Abdeljelil Zaouche – Ali Bach Hamba.

Béchir Sfar, premier de sa promotion devient une figure de prou du nationalisme naissant et fonde la Khaldounia, sœur de Sadiki, qui initie les jeunes zitouniens aux sciences modernes; de son côté, Ali Bach Hamba, pionnier des Sadikiens, fonde en 1905 l’Association des anciens de Sadiki et en 1907 le journal Le Tunisien, premier journal des revendications tunisiennes. Ali Bach Hamba dirige le premier mouvement nationaliste organisé ; le mouvement Jeune Tunisien et finit sa vie en exil en Europe.

Béchir Denguizli (1869-1934), Sadikien et premier médecin tunisien musulman moderne.

Les promotions se succèdent et transmettent cette passion pour le savoir et cette conscience de maitriser le destin d’un peuple jusqu’à la montée des élites qui vont forcer le destin.

Les années 1920 et 1930 allaient voir éclore des générations principalement issues de cette école à double culture, ancrées dans la culture arabe mais ouvertes sur les cultures du monde. Les figures emblématiques commencent à se multiplier et à s’organiser dans des associations et des partis politiques.

Deux Sadikiens, compagnons de route dans la longue marche pour l’indépendance. Slimane Ben Slimane et Habib Bourguiba.

Cette aventure alla sceller une alliance durable entre le mouvement national et les élites sadikiennes, alliance qui va culminer lors des évènements du 9 avril 1938 lorsque Ali Belhouane, professeur à Sadiki, appelle les élèves à rallier la grande manifestation qui revendiquait un parlement tunisien.

Habib Bourguiba avec Hassan Hosni Abdelwahab, Sadikien devenu historien du territoire national avec sa « Brève histoire de la Tunisie ».

Le collège Sadiki, dont le système éducatif moderne a servi de modèle pour l’école de l’indépendance avec la réforme de 1958 qui a fait de Sadiki la base de l’enseignement, est devenu non seulement la référence mais aussi un lieu de mémoire de la culture nationale. En 1992 l’État classe le bâtiment Monument National.

* Historien.

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