Mohamed Ben Salem, député Ennahdha, préfère que son parti ne présente pas de candidat aux élections présidentielles de 2019, sachant que le président du parti islamiste Rached Ghannouchi semble s’y préparer activement. Il ne s’agit pas là d’une simple divergence de vue à propos d’une question si importante.
Par Imed Bahri
À un an et demi de cette échéance, les Nahdhaouis font mystère de leur véritable position sur la question : y iront-ils à visage découvert ou opteront-ils, comme ils l’ont fait jusque-là, pour une comparse, comme ils l’ont fait avec l’ex-président provisoire Moncef Marzouki, avec le résultat catastrophique que l’on sait, et d’abord pour eux.
Le palais de Carthage en ligne de mire
Ainsi, tout en affirmant qu’ils n’ont pas encore tranché cette question et que toute décision à ce sujet dans un sens ou dans un autre serait prématurée, ils maintiennent le suspense, tout en multipliant les signes prouvant qu’ils s’y préparent activement et sérieusement (celui du costume cravate qu’arbore désormais M. Ghannouchi, sur le conseil de son spin doctor Nabil Karoui, est le plus anecdotique). Car, après avoir pris le contrôle de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), d’une partie du gouvernement et de l’administration publique, où ils sont désormais bien implantés, et plus récemment des plus importantes municipalités du pays (Sfax, Tunis, Bizerte…), ils ne vont pas accepter que la présidence de la république, même avec des prérogatives rognées par la constitution de 2014, continuent d’échapper longtemps à leur contrôle.
Cependant, et alors que Rached Ghannouchi piaffe d’impatience de succéder à Béji Caïd Essebsi à la tête de l’Etat, pour couronner un long parcours politique, plutôt chaotique et heurté, et prendre une revanche sur l’Histoire, ses partisans semblent divisés sur l’opportunité d’une telle évolution, qui les sortirait de leur position, confortable, de simples comparses ou de partenaires d’un pouvoir consensuel de coalition, pour les projeter sous les feux crus de la rampe, comme ce fut d’ailleurs le cas, entre janvier 2012 et janvier 2014, lorsqu’ils firent face à une forte opposition qui finit par les pousser vers la sortie.
C’est ce scénario qu’on qualifierait d’égyptien, par allusion au coup d’Etat du général Abdelfattah Al-Sissi contre le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, que Mohamed Ben Salem et certains de ses «frères» craignent un remake en Tunisie.
Les successeurs de Ghannouchi se bousculent au portillon
La position de l’homme d’affaires prospère et ancien ministre de l’Agriculture s’explique aussi par ses divergences qu’il ne parvient plus à cacher avec le chef du mouvement islamiste.
D’abord, M. Ben Salem n’a pas apprécié le manque de soutien de la part de Ghannouchi ainsi que des autres dirigeants d’Ennahdha à son gendre, Slim Ben Hamidane, ancien secrétaire d’Etat chargé des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, accusé dans une affaire de corruption en lien avec la gestion calamiteuse de l’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT).
Depuis plusieurs mois, M. Ben Salem ne se gêne plus d’exprimer des positions divergentes voire opposées à celles de M. Ghannouchi et il n’est pas exclu de voir dans cette prise de distance vis-à-vis du gourou de Montplaisir le signe d’une insubordination qui se confirmera à l’avenir et prendra la forme d’une rébellion ouverte, sachant que la question de la succession de Ghannouchi, si elle n’est jamais évoquée publiquement, se pose désormais en termes urgents, et les successeurs potentiels se bousculent déjà au portillon, à commencer, bien sûr, par M. Ben Salem. Mais on peut en nommer aussi Abdellatif Mekki, Abdelkerim Harouni, Ali Larayedh, qui joue la carte de la loyauté au chef suprême, ou, sur un autre registre, Hamadi Jebali, qui n’est pas aussi loin du mouvement qu’on le pense.
Ennahdha : Mésentente cordiale entre Ben Salem et Ghannouchi
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