Seules 14% des femmes tunisiennes possèdent des terres.
Dans un article de ‘‘Forbes’’, la journaliste américaine Brennan Cusack analyse l’impact que pourrait avoir la parité successorale en Tunisie. Elle y traite de l’inclusion financière de la Tunisienne que peut générer cette égalité femme-homme dans l’héritage et de son effet positif sur l’impulsion de la croissance.
Par Marwan Chahla
Nous empruntons ici certaines idées de l’auteure et faisons nôtres ses pertinentes observations.
Il y a un an, le président Béji Caïd Essebsi avait annoncé la formation d’une Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), présidée par la députée Bochra Belhaj Hmida, à laquelle avait été assignée la tâche de plancher sur ce vaste programme et de présenter au chef de l’Etat ses recommandations. La mission des neuf membres de la Colibe a été accomplie et le rapport de ce groupe de réflexion a été remis au président de la République qui, à l’occasion de la célébration de la Journée de la femme, le 13 août dernier, a fait savoir qu’il soumettra prochainement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) un projet de loi sur l’égalité homme-femme dans l’héritage.
Réalité cruelle de l’inégalité économique femme-homme
Alors qu’en Tunisie l’attention des observateurs et celle du grand public s’est focalisée sur l’aspect identitaire de cette parité successorale et sur sa dimension sociétale (sur ce que l’islam, le Coran et la charia en disent ou n’en disent pas), Brennan Cusack s’est plutôt intéressée à ce que cette équité dans l’héritage implique pour la promotion de l’égalité économique entre les deux sexes dans notre pays.
Dans notre pays, la vérité cruelle des chiffres est indéniable: seules 12% des femmes tunisiennes sont propriétaires de maisons et 14% d’entre elles possèdent des terres. La conséquence évidente de cette inégalité est simple à saisir: n’étant pas en possession d’une résidence ou d’un terrain, la citoyenne tunisienne se trouve dans l’incapacité d’accéder à un prêt bancaire qui lui permettrait de lancer une affaire, car l’octroi d’un crédit financier est presque systématiquement conditionné par l’offre à la banque de ce type de bien comme garantie.
Cet obstacle à l’obtention de prêts bancaires est donc un des plus importants enjeux de l’établissement de l’égalité économique femme-homme en Tunisie. Un rapport de la Société financière internationale (IFC, en anglais), une organisation du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, portant sur l’importance des crédits consentis aux femmes tunisiennes montre que les banques tunisiennes, dans leur évaluation d’un projet qui leur est présenté, ne concentrent pas leur appréciation sur la qualité du projet ou les qualités de l’entrepreneur. Elles ne s’intéressent qu’à ce que le demandeur de crédit donne comme bien en garantie pour l’obtention du prêt bancaire.
La conséquence de cet état de fait est inévitable: selon le rapport de l’IFC, les Tunisiennes possèdent 18 à 23% des entreprises en Tunisie et leur demande de crédit pour les petites et moyennes entreprises (PME) se monte à 595 millions de dollars, soit près de 1632 millions de dinars tunisiens. Et ces besoins sont loin d’être satisfaits, d’après l’IFC, qui ajoute que si les banques tunisiennes acceptent de répondre à cette demande l’opportunité ainsi ouverte aux citoyennes tunisiennes sera bénéfique, bien évidemment, aux emprunteuses mais également aux institutions financières.
La magie transformatrice de l’entreprenariat féminin
Dans son analyse, Brennan Cusack rappelle également que de nombreuses études internationales ont amplement prouvé qu’à travers le monde les PME dirigées par des femmes sont plus performantes que celles ayant à leurs têtes des hommes. De plus, les Tunisiennes chefs d’entreprises ont un niveau d’instruction supérieur à celui des hommes d’affaires tunisiens; elles sont plus jeunes et «sont reconnues, notamment par la communauté des institutions de micro-finance, pour leur dynamisme, leur prudence et le respect des règles.»
Georges Joseph Ghorra, le représentant-résident de l’IFC en Tunisie, relève que «l’entrepreneuriat féminin est en train de transformer le paysage de l’économie mondiale, créant des emplois durables et stimulant la croissance économique (…) Leur ouvrir encore plus les services financiers contribuera à soutenir la croissance économique et à créer des emplois dont le pays a le plus grand besoin. Pour les bailleurs de fonds, d’un point de vue purement commercial, le pari sur les femmes se justifie amplement car les entreprises appartenant à des femmes ou dirigées par elles représentent un grand marché dont le potentiel demeure inexploité et, donc, elles peuvent stimuler la rentabilité des institutions bancaires.»
Bref, il n’y a dans cette initiative d’établir par la loi la parité Tunisien-Tunisienne dans l’héritage, si elle se concrétise, que du gagnant-gagnant: pour la citoyenne tunisienne, cette disposition légale la rapprocherait encore plus de l’égalité économique; pour le Tunisien, aussi, le droit à l’emploi ne sera plus une profession de foi indéfiniment reportée; et la relance de la croissance de l’économie de notre pays s’en trouverait plus garantie.
Quant au reste, c’est-à-dire les craintes des réactionnaires sur ce qui pourrait affecter l’équilibre de la cellule familiale tunisienne, ça n’est que machisme, sexisme, frilosité et fumisterie islamiste! Il s’agit là, tout simplement, de la tristement célèbre «complémentarité homme-femme» déguisée des Nahdhaouis.
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