Contre toute attente, la Cour suprême danoise a pris le contre-pied des jugements d’un tribunal municipal et d’une cour cantonale, en retirant à un jihadiste son passeport danois et en ordonnant son extradition vers la Tunisie – ignorant qu’il est né et a été élevé au Danemark et qu’il laisse derrière lui sa famille…
Par Marwan Chahla
La chaîne de télévision publique danoise TV2 a rapporté hier, mardi 20 novembre 2018, qu’Adam Johansen, un Dano-tunisien de 28 ans, a été privé de sa nationalité danoise et extradé vers la Tunisie, pour avoir rejoint en Syrie les rangs de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI, Daëch).
En automne 2013, Adam Johansen, natif des Iles Féroé, s’est rendu en Syrie et il y a séjourné pendant cinq mois pour, selon ses dires, «pouvoir apprécier par moi-même» ce dont il s’agissait vraiment. Le rejet de cette explication par la Cour suprême du Danemark est catégorique: cette justification du déplacement syrien de Johansen n’est «ni fiable ni claire» et son déplacement en Syrie n’avait pour autres objectifs que de rejoindre Daëch et de s’entraîner aux maniement des armes.
«Une excellente journée pour le Danemark»
La Cour a également exprimé sa «sérieuse préoccupation au sujet de la gravité et la nature des crimes» que Johansen a pu commettre dans une zone de guerre en Syrie, après avoir laissé derrière lui sa famille au Danemark. Si sa famille ne souhaite pas l’accompagner en Tunisie, «elle a le choix de lui rendre visite dans ce pays ou de communiquer avec lui par téléphone ou Internet», a décidé la Cour.
Dans un jugement précédent, le tribunal de Frederiksberg, municipalité dans la communauté urbaine de Copenhague, avait condamné Johansen à une peine de quatre ans de prison, mais ce jugement a été assorti d’une autorisation accordée au coupable de garder la nationalité danoise. Cette décision a été ultérieurement confirmée par le tribunal de grande instance d’Østre Landsret. Cependant, la Cour suprême du Danemark a statué qu’il est tout à fait possible de retirer à Johansen son passeport danois, étant donné qu’il conservera toujours sa nationalité tunisienne. Bien évidemment, rendre cet homme apatride aurait constitué une violation de la Convention européenne, ont expliqué les juges de la Cour suprême danoise.
Réagissant à ce dernier verdict, le ministre danois de la Justice, Søren Pape Poulsen, a déclaré que c’était «une excellente journée pour le Danemark», expliquant que «le jugement qui a été rendu aujourd’hui démontre que lorsque vous décidez de tourner le dos au Danemark pour aller rejoindre les rangs de l’Etat islamique, vous perdez le droit à la citoyenneté danoise –même si vous avez toujours de la famille au Danemark.»
Durcissement à l’égard des «combattants étrangers» danois
Selon Vedel Kessing, chercheur principal à l’Institut danois des droits de l’Homme, cette décision de la Cour suprême danoise dans le cas d’Adam Johansen constitue un durcissement du traitement des dossiers de ceux qu’on appelle «combattants étrangers» danois. Le spécialiste rappelle qu’il s’agit là de la deuxième affaire où un binational est déchu de sa citoyenneté danoise pour crime terroriste. En effet, en 2017, Enes Ciftci, un Dano-turc, a été la première personne, née et élevée au Danemark, à être privée de sa nationalité danoise pour avoir rejoint Daëch à deux reprises et pour avoir soutenu financièrement l’organisation terroriste.
Simple question de bon sens: qu’est-ce qui autorise le Danemark, pays où Enes Ciftci et Adam Johansen sont nés et qui les a élevés, de se débarrasser de ces terroristes comme il le fait lorsque ceux-ci commettent des crimes et qu’ils deviennent dangereux pour sa sécurité ?
Une autre interrogation qui mérite d’être posée: qu’est-ce qui oblige la Tunisie, qui n’y est pour rien dans la radicalisation d’Adam Johansen, d’accepter de recevoir ce terroriste dont les autorités danoises ne veulent plus ?
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