Devant des centaines de présents (journalistes, représentants de la société civile et adhérents), l’association tunisienne ‘‘3ich tounsi’’ a organisé le mardi 23 avril 2019, à l’hôtel Laico de Tunis, une conférence de presse, la première depuis sa fondation, qui date d’à peu près un an, pour expliquer les raisons de cette initiative et présenter son programme et ses objectifs.
Par Cherif Ben Younès
«‘‘3ich Tounsi’’ est née à partir d’un rêve que partagent des millions de Tunisiens, visant à rompre définitivement avec un système autocratique, injuste et oppressif, qui a causé une dégradation à tous les niveaux de la situation du pays», lit-on dans le communiqué de presse associé à la conférence.
Des mots qui placent assez haut la barre des attentes envers ce projet, et qui suscitent des doutes quant à la capacité des jeunes qui ont lancé ce projet d’arriver à leurs fins, surtout au vu du manque de confiance envers les partis et les associations qui s’est installé graduellement chez les Tunisiens depuis la révolution de 2011.
Faire participer l’ensemble des citoyens
L’un des défis majeurs auxquels ont été confrontés les membres de ‘‘3ich Tounsi’’, durant cette année d’existence, était d’ailleurs de regagner cette confiance auprès des citoyens Tunisiens. C’est la raison pour laquelle, ils ont opté pour une approche participative et à grande échelle auprès de ces derniers, les impliquant dans les actions qui seront entreprises par l’association.
Cela s’est traduit par une large consultation populaire – touchant tous les gouvernorats du pays – qui a eu lieu entre novembre 2018 et février 2019, une période durant laquelle, les membres de ‘‘3ich Tounsi’’ ont approché plus de 400.000 citoyens, que ce soit par le contact direct, par voie téléphonique ou à travers les réseaux sociaux, en essayant de couvrir toutes les générations et les classes sociales, et ce dans l’optique de récoler les principales préoccupations du peuple par rapport à la situation actuelle de la Tunisie, ainsi que ses recommandations, en vue de dépasser la crise par laquelle passe le pays.
«Les 400.000 témoignages ne représentent pas seulement un chiffre ou une statistique. Nous avons été à l’écoute de parcours, de problèmes, de blessures, de rêves et d’attentes», a développé Olfa Tarrès, membre fondateur de ‘‘3ich Tounsi’’.
Safouen Trabelsi, directeur des études au sein de la jeune association, a assuré, par ailleurs, que cette campagne consultative s’est tenue dans le respect total des données personnelles de ceux qui ont été contactés, et ce conformément à ce que dispose la loi tunisienne à cet effet. Interrogé sur le même sujet, le président de ‘‘3ich Tounsi’’, Selim Ben Hassen, a ajouté que l’équipe qui a travaillé sur le contact téléphonique a eu recours à un logiciel qui compose aléatoirement les numéros, sans avoir, au préalable, la moindre idée sur l’identité des personnes appelées.
Élaborer un plan d’action sur la base des inquiétudes des Tunisiens
L’enquête a montré que 3 problèmes majeurs préoccupent particulièrement les Tunisiens : d’abord le coût exagérément élevé de la vie. En effet, près de 42% des répondants s’en sont plaints, exprimant une sorte de sentiment d’impuissance et de frustration face à cette situation. Ensuite, le manque de sécurité a été évoqué par environ 23% des citoyens sondés, notamment dans les moyens de transport en commun, et en particulier le soir. Un souci qui concerne, comme partout dans le monde, davantage le genre féminin. Enfin, plus de 19% des répondants ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis du taux élevé du chômage.
Les principales causes qui expliquent ces problèmes sont, d’après les personnes consultées, la corruption (30%), le désordre et l’incompétence de l’État (18%) et l’inefficacité des services publics, à l’instar des transports, les écoles et les hôpitaux (13%).
À la lumière de ces résultats, les décideurs au sein de ‘‘3ich Tounsi’’ ont élaboré, durant le mois de mars 2019, un «plan d’urgence» qu’ils ont baptisé «Le manifeste des Tunisiens». Ce plan, qui a déjà recueilli près de 65.000 signatures en 12 jours seulement, consiste en une synthèse des témoignages récoltés et comprend 12 mesures ayant pour but de «remettre le pays sur la bonne voie, se débarrasser des opportunistes et éradiquer le chaos qui y sévit», a affirmé le coordonnateur de l’association, Saddem Jebali.
La première de ces mesures, et probablement la plus audacieuse, consiste à «enlever aux politiciens au pouvoir tous les privilèges dont ils jouissent». M. Jebali a expliqué, à cet effet, que le peuple tunisien a perdu sa confiance envers les politiciens, notamment parce qu’il éprouve un sentiment d’injustice à leur égard, du fait des avantages qu’ils ont par rapport aux autres citoyens.
Selim Ben Hassen a estimé, de son côté, que plusieurs Tunisiens ont signé le manifeste grâce à la présence de cette mesure, ajoutant qu’elle a provoqué une campagne malveillante dans les réseaux sociaux à l’encontre de son association.
La deuxième mesure consiste à «mettre en place une équipe de sécurité dans chaque moyen et station de transport en commun». «Au Grand-Tunis, plus de 25% des cas de harcèlement sexuel ont lieu dans les moyens de transport en commun, y dénotant une absence qualitative de sécurité», a souligné Saddem Jebali, ajoutant qu’il est indispensable de permettre aux citoyens de se déplacer en toute sécurité dans leur pays.
«Tout acte de violence armé (braquage, harcèlement, etc.) sera considéré comme une tentative de meurtre et son auteur sera jugé sur cette base», tel est l’intitulé de la 3e mesure, clairement dissuasive et visant, comme sa prédécesseuse, à améliorer la sécurité du pays.
Les autres mesures établies sont les suivantes : «sauver les hôpitaux en les restructurant et en punissant les corrompus», «fournir les médicaments essentiels dans toutes les pharmacies et tous les hôpitaux», «lutter contre l’inflation en punissant les vendeurs irréguliers et les intermédiaires», «améliorer la pension de retraite en fonction de l’évolution des prix», «garantir la transparence et l’égalité des chances dans les concours publics», «régulariser la situation des domaines et des biens publics», «révoquer définitivement tout employé corrompu de la fonction publique», «Mettre en place une brigade de lutte contre la corruption» et «inscrire les noms des personnes condamnées pour corruption dans une liste accessible à tous les Tunisiens».
Des réformes qui sont donc clairement au service de la bonne cause et qu’on peut difficilement rejeter, même si certaines d’entre elles semblent un peu trop vagues, difficilement réalisables ou assez démesurées. Reste à savoir par quels moyens et à quel prix, elles seront mises en place. À ce propos, Selim Ben Hassen a déclaré que n’ayant pas les moyens de les imposer à la classe politique, qui a tous les pouvoirs en main, c’est par l’engagement, la collaboration avec les citoyens et leur pression que l’on pourra aller de l’avant dans la réalisation de ces objectifs.
Une association financée entièrement par ses membres
Interrogé en fin de conférence sur le financement de ce projet, le président de ‘‘3ich tounsi’’ a affirmé que celui-ci est assuré à 100% par les membres, particulièrement Olfa Tarrès et, d’un degré moindre, lui-même, insistant sur le fait que, contrairement aux rumeurs, ils n’ont reçu «aucun millime» de l’État tunisien, ni des hommes d’affaires, avant d’ajouter que, conformément à la loi, le budget de l’association sera dévoilé au public le mois prochain, à l’occasion de son premier anniversaire.
D’autre part, il a souligné que ‘‘3ich tounsi’’ est une association à part entière et non pas un parti politique, sans pour autant fermer, de manière claire et catégorique, la porte devant une éventuelle participation aux élections, même s’il a assuré que cela ne fait pas partie de l’ordre du jour, ni des objectifs qui ont été tracés au lancement du projet.
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