Dans son rapport 2019 sur la liberté de la presse, l’Ong internationale Reporters sans frontières (RSF), a classé la Tunisie à la 72e place sur un total de 180 pays, faisant ainsi une avancée de 25 places par rapport à l’année écoulée (97e) et se positionne à la première place dans le monde arabe. Doit-on s’en féliciter et s’en contenter ?
Par Khémaies Krimi
Non, bien sûr, car les observateurs des médias tunisiens, y compris RSF et le Syndicat nationale des journalistes tunisiens (SNJT), pensent qu’en dépit de ce bon classement, la liberté de presse en Tunisie n’est pas encore réellement ancrée dans les traditions du pays.
«Certes, il y a eu progression de 25 points, mais la Tunisie n’a pas encore atteint la zone des pays où la situation de la liberté de la presse est bonne», dira le directeur du bureau Afrique du Nord de RSF, Souhaib Khayati, en présentant le nouveau rapport de RSF.
Globalement, des analystes indépendants estiment que, contrairement à ce qu’on répète, sur tous les tons et sur toutes les ondes, à savoir que «la liberté de presse et d’expression est l’acquis le plus sûr depuis le 14 janvier 2011», cette liberté fondamentale demeure fragile.
Les menaces qui pèsent sur la presse tunisienne
Cette liberté serait menacée par trois phénomènes, qui sont en train de la dénaturer et d’en faire l’ennemie jurée de la démocratie en Tunisie.
Le premier réside dans cette tendance du milieu politique et du monde de l’argent à vouloir s’approprier les médias et les instrumentaliser pour orienter l’opinion publique.
Le deuxième est perceptible à travers la tendance fâcheuse de quelques animateurs et journalistes véreux à chercher plus le buzz que l’information objective et constructive. Certains d’entre eux, par cupidité, par manque de professionnalisme ou par inculture, font carrément le lit de tous les fléaux socio-politiques (terrorisme, dictature, corruption…).
Le troisième est structurel. Il concerne la formation des journalistes, laquelle est actuellement assurée par deux structures, l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI, structure académique) et le Centre de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC, structure professionnelle). Les enseignants et animateurs de ces deux structures ont pris le pli, en l’absence de tout contrôle de la qualité, de dispenser plus une formation théorique qu’une formation adaptée aux besoins réels du métier, et ce, des décennies durant.
Agir sur la législation
Pour y remédier, Reporters sans frontière, par la voix de son directeur du bureau Afrique du Nord de RSF, propose d’«améliorer le cadre législatif de la liberté de la presse et d’accélérer la mise en place des instances de régulation, notamment, l’Haute autorité indépendance de la communication audiovisuelle (Haica), en la dotant de garanties nécessaires, dont l’indépendance financière».
Il suggère, également, le remplacement du décret-loi 2011-115 et le décret-loi 2011-116 relatifs notamment à la liberté de la presse et à la communication audiovisuelle, par des lois organiques.
Pour le SNJT, le salut de la liberté de presse passe par l’amélioration des conditions matérielles des journalistes et il demande au gouvernement de hâter «l’activation de la convention collective des journalistes tunisiens». C’est du moins la thèse que défend Fahem Boukaddous, membre du bureau du SNJT.
Pour un débat national sur la liberté de presse
Par-delà le classement de la Tunisie en matière de liberté de la presse et les menaces qui pèsent encore sur cette liberté, il faut reconnaître, que celle-ci est toujours, depuis l’indépendance du pays en 1956, à la recherche d’une légitimité et d’une reconnaissance nationale.
En l’absence d’une prise de conscience populaire salutaire du bien-fondé de cette liberté, aucune force politique, aucune organisation nationale, aucune personnalité, quel que doit son charisme, et aucun homme d’affaires riche n’a osé parrainer une action visant à garantir l’autonomie du secteur et ancrer son indépendance dans les traditions du pays.
Même le soulèvement du 14 janvier 2011, qui a fait tomber le régime dictatorial, n’a pas garanti, ni dans les textes ni dans l’exercice quotidien, une totale liberté de l’information.
L’enjeu serait peut-être d’organiser un débat national sur la liberté de la presse auquel seraient conviées toutes les forces vives du pays, société civile, partis politiques, organisations syndicales, patronales et professionnelles…. Sur la base des conclusions de ce débat, un nouvel article pourrait être élaboré et ajouté à la Constitution, qui garantirait la liberté de la presse de manière irrévocable.
Cet article pourrait s’inspirer – et pourquoi pas – de la Constitution américaine qui stipule que «le Congrès ne fera aucune loi (…) qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse». À bon entendeur.
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